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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (9 page)

BOOK: Les Assassins
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— Bien entendu, fit Grant, avant d’hésiter une seconde. Mon Dieu, je ne sais pas. J’ai défendu des centaines d’affaires. Je gagne plus souvent que je ne perds, et de loin, mais il m’arrive de perdre. Qui ne perd pas ? Il y a beaucoup de gens aujourd’hui en prison qui m’en veulent.

— Et des gens qui en seraient ressortis ?

— C’est fort possible. »

Grant regarda de nouveau sa femme, dont les yeux brûlaient de reproches. Irving sentit que c’était une femme froide et que son mari faisait tout pour maintenir leur relation à flot.

« Écoutez, je comprends bien la nécessité de toutes ces questions, mais faut-il absolument le faire maintenant ? Je crois que ce n’est pas… »

Irving eut un sourire compréhensif. « Je veux juste savoir si vous avez une idée de l’endroit où elle se rendait. »

Grant fit signe que non. « Elle nous a simplement parlé d’une possibilité de boulot à temps partiel à Murray Hill. Elle devait y aller en métro. Je l’aurais bien emmenée en voiture, mais ma femme et moi avions quelque chose de prévu.

— Et l’heure à laquelle Mia a quitté la maison ?

— 18 heures. 18 h 30, peut-être. On est partis une demi-heure plus tard et on est revenus juste après 22 heures. Mia n’était pas là, elle ne décrochait pas son portable, alors j’ai prévenu la police à 23 heures. On m’a répondu…

— Qu’on ne pourrait pas établir un rapport officiel avant quarante-huit heures.

— Oui, exactement.

— Et elle ne vous a rien dit d’autre sur l’endroit où elle allait, ni sur la personne qu’elle voyait ? »

Grant resta silencieux un instant, puis, lentement, secoua la tête. « Non, rien dont je me souvienne.

— D’accord. Où puis-je vous joindre en cas de besoin ?

— Je vais emmener ma femme chez ma mère, à Rochester. Je reviendrai demain matin pour m’occuper de tout. »

Il sortit de son attaché-case une lettre à en-tête et la donna à Irving. « Voici mon numéro au cabinet et mon portable. Et puis… » Il nota deux autres numéros sur la feuille. « Celui-là, c’est mon domicile en ville, et là, c’est celui de ma mère, si vous avez vraiment besoin de me joindre ce soir. Essayez d’abord sur mon portable, mais chez elle ça capte très mal, et je préférerais que vous ne m’appeliez pas. Je passerai vous voir demain. Vous êtes au commissariat n
o
 4, c’est bien ça ?

— Oui. Au croisement de la 6
e
Avenue et de la 57
e
 Rue. »

Grant se leva et aida sa femme. Mentalement, spirituellement peut-être, elle n’était plus dans la pièce. Elle était déjà loin. Elle ne voyait plus son mari, ni Irving, ni le policier en uniforme qui leur ouvrit la porte et les accompagna jusqu’à la sortie. Elle resterait dans cet état pendant plusieurs jours. Grant, inévitablement, appellerait un médecin, et le médecin lui prescrirait quelque chose pour retarder encore un peu l’échéance du réel.

Irving partit à gauche et retrouva Turner au bout du couloir.

« Pas d’agression sexuelle, lui annonça ce dernier. Je ne l’ai pas encore ouverte de bas en haut, mais il n’y a aucune trace extérieure, hormis le coup sur la tête. Sans doute un marteau… Enfin, quelque chose de petit, vous voyez ? D’après la rigidité cadavérique et l’écoulement du sang, je dirais hier soir entre 21 h 30 et 23 heures. Je ne sais pas où elle a été tuée mais en tout cas elle n’y est pas restée longtemps. Elle a été déplacée presque immédiatement. L’écoulement sanguin horizontal, à l’emplacement où elle était couchée par terre dans le parc, est primaire, pas secondaire. Ce qui signifie que vous allez devoir trouver une autre scène de crime.

— Si vous avez quoi que ce soit de nouveau, vous m’appelez ?

— Bien sûr. Et les parents ?

— Rien de très instructif pour l’instant. La fille était partie pour un boulot. Vers 18 h 30.

— Vous savez, fit Turner, il n’a rien dit quand il l’a vue. Même dans l’état où elle était, ça n’a pas eu l’air de l’affecter.

— Ça viendra. Ce soir, demain, la semaine prochaine. Ça viendra.

— Il ne fait pas partie des suspects ?

— Ils sont tous suspects jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus. Mais Grant ? Pour le meurtre de sa propre fille ? Non, je ne le sens pas. Il se peut que ce soit une vengeance, quelqu’un qu’il aurait mal défendu. Mais la vérité est toujours plus tordue. »

Le bipeur de Turner sonna. Il devait y aller. Les deux hommes se serrèrent la main. Turner assura à Irving qu’il l’appellerait si l’autopsie révélait quoi que ce soit d’intéressant.

Or l’autopsie ne révéla rien d’intéressant.

Les TSC n’avaient rien trouvé non plus.

Les deux rapports parvinrent au commissariat le 5 au matin. Mia Emily Grant, 15 ans, née le 11 février 1991. Mort due à un traumatisme crânien, avec importante hémorragie interne. Pas d’agression sexuelle. L’orée de Bryant Park, sous la voûte des feuillages, était bel et bien l’endroit où le corps avait été abandonné, et non le lieu du crime. L’enquête de voisinage, pourtant approfondie, ne donna quasiment rien. Les employés du métro des stations 34
e
 Rue-Penn Station, 50
e
 Rue, 42
e
 Rue, Times Square, Grand Central Station et 33
e
 Rue – toutes les personnes qui auraient pu voir Mia Grant sur le trajet entre chez elle, près de St. Vartan’s Park, et Murray Hill – furent interrogés, photo à l’appui. Bien sûr, Irving savait, pour commencer, que rien n’assurait qu’elle ait pris le métro ; elle n’avait peut-être même pas dépassé le coin de sa rue. Il savait aussi que cette histoire de boulot à mi-temps pouvait n’être qu’une ruse pour tromper ses parents. Une jeune fille de 15 ans, intelligente, jolie… Tout était dit.

Le samedi 10 juin, soit une semaine après la découverte du corps, l’affaire était toujours dans l’impasse. Chaque piste, chaque fil, chaque scénario potentiel qu’Irving avait pu imaginer à partir de la mort de la fille ; tout avait été exploré, une, deux, trois fois. L’alibi des parents était en béton. Il n’y avait rien. Irving plongeait régulièrement sa main au fond d’un sac et la ressortait vide.

Le dossier traîna quelque temps sur le rebord de son bureau. Très vite, il se retrouva sous un numéro du
New York Times
, une enveloppe de photos qui semblait avoir perdu son étiquette d’identification, une tasse à café et une cannette de Coca vide.

 

À quelque six rues de là, John Costello était assis à son bureau, au service de documentation du
New York City Herald
, les yeux rivés sur un panneau en liège accroché en face à lui. À hauteur de ses yeux était punaisé le petit article de deux colonnes relatant la découverte du corps de Mia Grant, avec les quelques détails relatifs à son âge, à son école, au métier de son père. Tout en bas, souligné de rouge, le fait qu’elle était partie, apparemment, chercher du travail à Murray Hill.

À côté de la coupure de journal, une demi-page arrachée à la petite gazette locale. Là, entourée à l’encre, figurait une annonce datée du jeudi 1
er
 juin.

Cherche jeune fille pour travail domestique à temps partiel. Rémunération à négocier. Horaires flexibles.

Le numéro de téléphone comportait l’indicatif du quartier de Murray Hill.

De son écriture précise et mesurée, John Costello avait noté :
3 juin Annonce Carignan
, puis, à droite du cercle d’encre :
? ? ? ?

À voir son air concentré et la manière dont il se tenait assis, Costello semblait fasciné par ces quelques lignes.

Lorsque le téléphone sonna sur son bureau, il sursauta, puis décrocha.

Il écouta, afficha un demi-sourire et dit : « Oui, madame, j’arrive tout de suite. »

3

  « L
a vérité, c’est qu’il y a quelque chose comme dix-huit mille meurtres commis chaque année aux États-Unis. Ce qui nous fait mille cinq cents par mois, soit environ quatre cents par semaine, cinquante-sept par jour, un toutes les vingt-cinq minutes et demie. Et seuls deux cents par an sont l’œuvre de tueurs en série… » John Costello sourit. « Sauf erreur de ma part. »

Leland Winter, le rédacteur en chef adjoint du
New York City Herald
, se cala au fond de son siège. Il croisa les mains, les deux index pointés en flèche, et lança un regard interrogateur à Karen Langley, la responsable des faits divers, la femme pour laquelle John Costello travaillait comme enquêteur.

Ce dernier comptait les bonsaïs alignés sur le bureau de Winter. Il y en avait huit. Le deuxième à partir de la droite était d’une symétrie presque parfaite.

« Bien. Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Winter.

— Trois pages, trois dimanches de suite », répondit Langley. Elle jeta un coup d’œil vers Costello et sourit à son tour.

« Une enquête sur les victimes des tueurs en série qui ne font jamais la une ?

— Exactement », fit Karen Langley.

Winter hocha lentement la tête et se tourna vers Costello.

Celui-ci inclina la tête sur le côté. « Je peux vous demander quelque chose, monsieur Winter ?

— Bien sûr.

— Les arbres… Ceux qui sont sur votre bureau…

— John », murmura Karen Langley, comme un reproche, un rappel à l’ordre.

Winter sourit et se pencha en avant. « Oui, les arbres… Eh bien ?

— Je crois n’avoir jamais rien vu d’aussi beau, monsieur Winter. Ce sont vraiment des spécimens remarquables.

— Vous vous y connaissez en bonsaïs ? Et au fait, John, personne ne m’appelle monsieur Winter, sauf le fisc et les flics. Appelez-moi Leland. »

Costello secoua la tête. « Est-ce que je m’y connais en bonsaïs ? À vrai dire, pas vraiment. Disons, suffisamment pour reconnaître ceux qui s’y connaissent.

— Eh bien, merci, John. Ça me va droit au cœur. Les bonsaïs sont en effet une de mes grandes passions.

— Je vois ça, Leland. Je vois ça. »

Leland Winter et John Costello restèrent un bon moment sans parler, l’un en face de l’autre, les yeux rivés sur les bonsaïs. Karen Langley se dit qu’elle aurait tout aussi bien pu ne pas être là.

Winter finit par se tourner vers elle. « Alors proposez-moi quelque chose, Karen… Préparez-moi quelque chose, que je puisse voir à quoi ça va ressembler, d’accord ? Trois pleines pages, je ne suis pas sûr, mais voyons déjà ce qu’on a à se mettre sous la dent. Entendu ? »

Karen Langley sourit et se leva. « Merci, Leland, c’est parfait… On aura quelque chose d’ici le milieu de la semaine. »

John Costello se leva aussi, avança d’un pas, tendit la main.

Leland Winter la serra, tout sourire. « Ça fait combien de temps que vous êtes ici, John ? Au journal, je veux dire.

— Ici ? »

Costello fit une moue songeuse. Il regarda Karen Langley.

« Huit ans et demi, dit-elle. John travaille pour moi depuis huit ans et demi… Il a commencé environ six mois après mon arrivée.

— Je suis surpris qu’on ne se soit encore jamais croisés. Je sais bien que je ne suis ici que depuis quatre ans, mais quand même… »

John Costello acquiesça. « Personne ne m’avait dit que vous aviez des bonsaïs, Leland. Sinon je serais monté vous voir depuis bien longtemps. »

Leland Winter sourit de plus belle et les raccompagna devant son bureau avec une mine satisfaite.

« Vous êtes incroyable, John, dit Karen Langley. C’est la chose la plus scandaleuse que j’aie jamais vue.

— Comme ça, vous aurez peut-être vos pleines pages, non ?

— On verra bien. Maintenant vous allez m’aider à préparer quelque chose, d’accord ? Il faut qu’on ait quelque chose pour la réunion du planning. Mercredi dernier carat.

— Je vais consulter mon calendrier. »

Langley agita la serviette en cuir qu’elle tenait à la main et attrapa le bras de Costello.

« Consulter votre calendrier… Franchement, vous devriez faire une demi-heure de
stand-up
au Comedy Club le samedi soir, ça vous ferait un peu atterrir. »

Ils arrivèrent devant l’ascenseur ; elle appuya sur le bouton pour descendre.

« Une question, fit Costello. Pourquoi lui avoir dit que je n’étais là que depuis huit ans et demi ? »

Elle sourit. « Je n’ai pas dit que vous étiez ici depuis huit ans et demi. Je lui ai dit que vous travailliez pour moi depuis huit ans et demi. »

Costello haussa les sourcils.

« Sérieusement, John, quand je raconte aux gens que vous êtes ici depuis près de vingt ans, ils sont tout étonnés de ne pas savoir qui vous êtes. Ils se sentent, comme qui dirait, un peu gênés. »

Costello voulut répondre, puis sembla se raviser. Il haussa les épaules et se dirigea vers l’escalier.

« Ah oui, c’est vrai, dit Karen. Pas d’ascenseurs. »

Il sourit modestement, franchit la porte et se lança dans l’escalier en comptant les marches, comme toujours.

 

4

  L
e matin du lundi 12 juin, Max Webster se retrouva coincé dans un embouteillage sur Franklin D. Roosevelt Drive. Il avait prévu de prendre le tunnel de Queens Midtown, mais changea d’avis en voyant la longueur du bouchon qui s’étirait au bout de la 42
e
 Rue Est, et décida d’emprunter le pont de Williamsburg, pensant que ce serait une meilleure idée. Max était dans la force de l’âge – si tant est que cette expression ait un sens. Né dans le Lower East Side, il travaillait en tant que commercial pour une petite mais florissante entreprise de produits chimiques installée sur Rivington Street, qui vendait jusqu’à Waterbury, Connecticut, dans le Nord, et Atlantic City au sud. Max était un type normal. Un type qui ne se distinguait par rien d’autre que sa respectabilité et sa bonté naturelle. Il appartenait à cette communauté des gens simples aux existences simples, qui avaient depuis longtemps surmonté la frustration quant à ce qui aurait pu être, à ce qui aurait dû être, à ce qui ne serait jamais. Des gens pas compliqués – simplement limités.

Max avait deux visites prévues chez des clients, à la suite de quoi il devait retourner au bureau afin de démarcher quelques prospects. Son entreprise, Chem-Tech, n’était plus obligée de batailler pour tourner, et d’une certaine façon Max se rendait compte que l’heure n’était plus aux défis. Depuis quelque temps il n’avait plus la niaque. Plus comme avant, dix ans plus tôt. L’époque des discours bien rodés, des « achetez tout de suite » et des délais de livraison plus courts que chez la concurrence. L’époque des tensions avec les gestionnaires de stock, les équipes de livraison et les manutentionnaires. L’époque où il prononçait trois Ave Maria en prenant sa voiture pour se rendre chez le client potentiel, puis serrait des louches, lançait de grands sourires idiots, faisait croire au type en face qu’il appelait le patron pour voir s’ils ne pouvaient pas obtenir une petite ristourne si la commande dépassait 3 000 dollars. L’époque où toutes ces choses lui donnaient une bonne raison de se lever le matin. Encore cinq ans et il plaquerait tout, s’achèterait un bateau et irait pêcher. Encore cinq ans de routine et de monotonie – il pouvait bien supporter ça. Car Max Webster était un homme respectable, courageux, qui mourrait sans que les gens se rappellent grand-chose de lui, sinon que c’était un type bien.

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