The Setting Lake Sun (17 page)

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Authors: J. R. Leveillé

BOOK: The Setting Lake Sun
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“What's wrong?” I asked him, shocked.

“I'm going to die.” He was mysterious, but also direct.

“That's not true!”

“Yes, it is.”

At the time I thought he was talking Zen. And in the course of the months that followed, because of his dynamism and vitality, I took it for granted that his life would go on for many more years.

“What's wrong with you?” I asked again.

“It's a family illness. A lot of Takamis come into the world, but we all die at about the same age.”

He was 64 years old.

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Sitôt après, je lui ai parlé de son recueil de poèmes.

— Tu as choisi le titre,
L'Étang du soir
, parce que tu penses que ce sera ton dernier livre. C'est pourquoi j'y sens une couche d'amertume, de tristesse.

— Ça, c'est ta nature, a-t-il répliqué.

Puis :

— La tristesse est la condition ineffable de l'univers. Pourtant nous sommes appelés à être heureux. Nous sommes des êtres de joie. C'est là que réside la contradiction des apparences.

*

Immediately afterwards I talked to him about his poetry collection. “You chose the title
The Night Pond
because you believe it will be your last book. And that's why I get a sense of bitterness or sadness from it.”

“It's your nature that makes you feel that way,” he replied. Then he added, “Sadness is the ineffable condition of the universe. And yet we are drawn to happiness. We are creatures of joy. Therein lies the contradiction of appearances.”

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Bien des années plus tard, alors que dans un sentiment de bienheureuse mélancolie, je revoyais ses poèmes que j'avais chaleureusement conservés pour les compléter, je suis tombée sur un vers de Baudelaire qui m'a beaucoup aidée à résoudre des problèmes de traduction : « Mais la tristesse monte en moi comme la mer. »

Je me suis demandé au début : La mer est-elle triste ? Et l'étang est-il sombre ?

*

I lovingly saved his poems through the years so that I could one day complete my work on them. I was revisiting them in a state of happy melancholy when I came across a line by Baudelaire that turned out to be a big help to me in teasing apart the riddles: “But sadness rises in me like the sea.”

Before I set to work again I asked myself, “Is the sea sad? And is the pond sombre?”

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Cet été et cet automne-là, je me suis rendue plusieurs fois à Thompson en car. Ueno me reconduisait souvent le dimanche soir. Il passait une journée ou deux à Winnipeg pour affaires, ou pour ses classes. Et sauf exception, nous avions pris l'habitude de sortir le lundi soir, et il passait la nuit chez moi.

Ces voyages vers Thompson n'étaient pas tout à fait un pèlerinage ou même une odyssée, c'était, comment dirais-je, une aventure sans but.

*

That summer and fall I often took the bus to Thompson. Ueno would drive me down again on Sunday night. He would spend a day or two in Winnipeg taking care of business or giving his classes. We developed the habit of going out together on Monday evening and spending the night together at my apartment.

My trips to Thompson were not exactly a pilgrimage or an odyssey. I guess you could say they were a journey without a destination.

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Je me souviens, bien sûr, très clairement du moment où je le lui ai dit. C'était au fond très simple. J'étais partie tôt le vendredi matin pour Thompson, comme je l'avais fait souvent au cours des derniers mois. Mes vendredis après-midi passés avec Sara étaient de plus en plus espacés. Mais elle ne m'en voulait pas. Elle comprenait. Frank me taquinait un peu. Il disait :

— Tu vas goûter ailleurs maintenant. Tu as trouvé meilleure fontaine où boire ? Allez, va,
in vino veritas
.

Et il m'embrassait sur les deux joues.

*

I clearly remember the time I told him. It was very simple. I had left for Thompson early Friday morning, as I had often done over the previous months.

My Friday afternoons with Sara had become less and less frequent, but she didn't mind, she understood.

Frank teased me a little. He said, “Now you want a taste of something else. You found a better fountain to drink from? So, go,
in vino veritas
.” And he kissed me on both cheeks.

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Alors j'étais dans ce car en route pour Thompson. J'avais emporté avec moi, pour la première fois, l'exemplaire de
L'Étang du soir
qu'Ueno m'avait donné. Il l'avait dédicacé : À ma petite grenouille. Et avait fait un dessin rapide d'une grenouille accroupie près de sa signature.

Il n'y avait pas eu de lancement. Presque tout le tirage avait été réservé à des collectionneurs.

Voici ce dont je me souviens. Je relisais, une fois de plus, les poèmes. Je ne sais plus si je les lisais ou si je les voyais entièrement sur le coup, tant ils étaient imprimés dans ma mémoire. Et ceci surtout. Les dessins. Ces frottements. Il me semblait que ce mur de sapins, où la neige était déjà épaisse, passait dans la fenêtre en créant un effet semblable aux gravures sur bois. Il y avait cette espèce de frémissement du bois et cet espacement blanc qu'étalait la neige.

Je sais qu'Ueno aimait bien faire ce voyage et je crois qu'il avait été sensible à cette inspiration. Ces gravures sur l'espace de la page étaient tout simplement un petit quelque chose de plus. Une trace. Un bruissement visuel. L'apparition singulière de l'indéfinissable. J'étais bien heureuse.

*

So there I was on the bus to Thompson. For the first time I'd brought the copy of
The Night Pond
that Ueno had given me. He had dedicated it “To my little frog” and made a quick sketch of a crouching frog next to his signature.

There was no launch for his book; nearly the entire run was held for collectors.

Here's what I remember about that trip. I was once again reading the poems. I can't say whether I was actually reading or whether I saw each of them whole, at a single glance, because they were so solidly stamped into my memory. But above all, the illustrations, the rubbings. It felt as if the unbroken wall of pines, already packed with snow, created a similar effect to his woodcuts as it streamed past the window. There was the shimmering of the tree trunks and the white spacing created by the snow between.

I know Ueno enjoyed making that trip and I believe that he would have been open to the images it inspired. The etchings on the page's white expanse added a little extra, an imprint, a visual rustling. A rare glimpse of the indefinable. It made me very happy.

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Je me rappelle aussi que j'avais voulu au cours de l'été donner quelque chose à Ueno pour lui témoigner mon affection et le remercier d'une foule de choses. J'ai fait un collage composé de fleurs sauvages, que j'avais cueillies et pressées entre les pages d'un livre, et d'un morceau d'écorce que j'avais ramassé au cours d'une de nos promenades et sur lequel j'ai écrit à l'encre de Chine avec un pinceau – je m'essayais, c'était rudimentaire, mais sincère et intense – les mots de ce chant qui remontait à mon enfance :

Les eaux sont calmes

le brouillard s'élève

parfois

j'apparais.

Ueno s'était extasié avec une espèce de contenance parfaite. Et il a voulu en savoir davantage. Je lui ai dit que je croyais que c'était un chant chippewan que mon père récitait, je ne sais plus dans quelles circonstances.

*

That summer I decided I wanted to give Ueno something as a sign of my affection and to thank him for many things. I made a collage out of wildflowers I had pressed in a book and a piece of bark I picked up during one of our walks. I had written on it in Chinese ink, using a brush. It was a clumsy first effort, but sincere and heartfelt. I'd copied the words of a song I'd heard as a child:

“The water is still

the fog is lifting

sometimes

I appear.”

I could tell Ueno was ecstatic, although his composure was undisturbed. He wanted to know more about the verse. I told him I thought it was a Chippeweyan song and that my father would sing it, I can no longer remember why or when.

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J'ai pris un grand plaisir à cette petite œuvre, et tout a semblé se composer avec la plus grande facilité.

J'avais quelquefois vu Ueno travailler à un dessin. Il allait vite mais ne se pressait pas. Il n'y avait pas de frénésie d'accélération ou d'énergie retombée ; comme si la lenteur arrivait à point. Chaque geste était impeccable. On aurait dit une danse de musique.

Il avait expliqué que lorsqu'on atteint une vitesse parfaite, il n'y a plus de temps. On entre dans l'infini.

Et pour bien me faire comprendre que ce n'est pas une question de rapidité, ou de lenteur, ou encore de contrôle raisonné, il m'a parlé de Wang Mo, un peintre chinois qui, disait-il, avait le cœur de Jackson Pollock.

Apparemment, Wang Mo était renommé pour ses beuveries et il commençait rarement une œuvre sans être ivre. C'était alors une fête. Il chantait, il dansait, il riait, il gesticulait tout en peignant. Il était reconnu pour cette technique dite de « l'encre éclaboussée ». Avec ses pinceaux ou tout aussi souvent avec les longues nattes de sa chevelure qu'il trempait dans l'encre, il faisait surgir des paysages magiques comme s'ils émanaient directement du Tao. On dit que l'œuvre composée était si parfaite qu'on oubliait les traces d'encre et qu'on croyait voir dans le grand Vide.

*

I had a wonderful time creating my little piece. Everything seemed to come together effortlessly.

Every so often I had seen Ueno working on a drawing. He worked quickly, but without rushing. There was no frenzied speed or wasted energy; it was as if by not hurrying one could achieve the ideal tempo. Each gesture was impeccable, as though he were moving to music.

He had explained that when you reach the perfect speed, time ceases to exist. You start to move through infinity.

To help me understand that it's not a matter of being fast or slow, or any kind of rational control, he told me about Wang Mo, a Chinese painter who, so he said, had the heart of Jackson Pollock.

It seems that Wang Mo was renowned for his drinking and he rarely started a piece without first getting drunk. Then painting turned into a party—he sang, he danced, he laughed, he waved his arms around, all while he was working. He was known for the technique they call “ink-spattering.” With his brushes, or just as often with his long braids dipped in ink, he would summon magical landscapes as if they were emanating directly from the Tao. They say that the finished work was so perfectly composed you would forget the brush-strokes and think you were looking straight into the Void.

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Ueno était venu me prendre sur la grand-route où le car de Thompson m'avait déposée. Et là, nous arrivions chez lui. Il a arrêté sa vieille navette spatiale, toujours en aussi splendide désordre, sur le petit plateau d'où l'on apercevait sa cabane et derrière, encerclée par les arbres, la nappe toute blanche de Setting Lake qui rougeoyait légèrement grâce au soleil couchant qui traversait par le pont des nuages.

Alors je lui ai dit : « Ueno, je suis enceinte. »

*

Ueno had come to pick me up on the highway where the bus to Thompson dropped me off and we had arrived at his place. He stopped his old spaceship, which was as gloriously messy as ever, on the small rise. From there we could see his cabin and beyond it, encircled by trees, the white expanse of Setting Lake. Its surface was slightly ruddy from the light of the sun disappearing over the bridge of clouds.

That was when I told him, “Ueno, I'm pregnant.”

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Pour m'expliquer là-dessus, je dois revenir en arrière. Quand nous avons fait l'amour la première fois – et par la suite –, il n'a pas voulu mettre de préservatif. Il m'a dit :

— Tu sais, avec la vie que je mène, je ne fais pas l'amour à de mauvaises herbes. Je ne sème pas à tout vent, et l'Esprit ne m'envoie pas d'ivraie.

Voilà le sentiment qui m'habite quand je parle d'une aventure sans but, je pourrais dire une aventure immaculée.

Mais j'étais alors un peu inquiète, pour une autre raison.

— Ueno, je ne prends pas la pilule.

J'avais cessé de prendre la pilule quand j'avais rompu avec Aron et je m'en étais remise, à l'occasion, au condom.

— Oh ! tu sais, à mon âge, avec ma condition physique, je ne crois pas qu'il y ait suffisamment de mouches à feu pour franchir le barrage des bouddhas. Ce serait là, non pas un miracle, mais un agrément insoupçonné, impeccable et incontournable de l'univers.

—…

— Mais si tu as des craintes… avait-il laissé entendre.

Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai dit :

— Non. D'accord.

La dernière date inscrite sur sa pauvre liste remontait déjà à près de deux ans.

Aujourd'hui je ne peux m'empêcher de sourire quand je songe à la « pauvreté » de cette liste et à la richesse de ses ébats.

*

In order to explain that, I have to backtrack a little. When we made love the first time—and afterwards—he didn't want to use a safe.

He said, “You know, the way I lead my life, I don't sow my seed on stony ground, nor does the Spirit send me thorns.”

That's exactly the feeling that comes over me when I talk about a journey without a destination, or what I might call an immaculate quest.

But at the time I was uneasy, for another reason.

“I'm not on the pill.” I had stopped taking it when I split up with Aron and had relied, when I needed to, on condoms.

“Well, you know, at my age, given my physical condition, I don't think there are enough fireflies to make it across Buddha's barrier. It wouldn't be a miracle, but it would be an unanticipated covenant with the universe, irreproachable and irrefutable.”

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