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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (28 page)

BOOK: Les Assassins
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Leycross secoua la tête.

« Est-ce qu’il y en a qui ont plus de 12 ans, Tim ? »

Leycross tourna la tête et regarda, à travers le pare-brise, le trottoir d’en face.

« Pour être très honnête avec toi, Tim, je n’ai même pas envie de savoir. »

Leycross le regarda, l’air méfiant.

« La petite sauterie, vendredi soir, reprit Irving. Tu y vas ?

— Mais quelle sauterie, putain ?

— Attention aux mots que tu emploies, Tim.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez.

— La petite sauterie que ton ami George organise au Bedford Park Hotel. »

L’expression de Leycross changea brusquement. Dans ses yeux, une fraction de seconde, l’affolement. S’il n’avait pas regardé Irving, celui-ci ne l’aurait peut-être pas remarqué.

« Grosse soirée, vendredi », dit Irving sur un ton détaché, nonchalant. Comme si l’ensemble de la police new-yorkaise le savait depuis longtemps.

« Je ne suis pas au courant. Bordel, je ne sais pas de quoi vous parlez !

— Bon, soit tu me confirmes que tu sais exactement de quoi je parle, soit on fait un petit tour au commissariat, je t’épingle pour tes PV, je diffuse les DVD sur la télé du poste et une bonne demi-douzaine de flics de la Mondaine, des types aguerris et cyniques bien comme il faut, vont commencer à vérifier tes DVD pirates de
Jurassic Park
et de
La Guerre des étoiles
… Parce qu’à mon avis, c’est de ça qu’il s’agit, Tim. Pas vrai ? »

Leycross baissa la tête. Il poussa un long soupir. Lorsqu’il regarda de nouveau Irving, ce dernier perçut dans ses yeux quelque chose de tellement pathétique, de tellement résigné, qu’il eut du mal à ne pas rire.

« Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Leycross.

— Je veux que tu m’emmènes là-bas avec toi.

— Quoi ?

— Au Bedford Park Hotel, vendredi soir. Je veux que tu m’y emmènes en tant qu’invité.

— Vous déconnez ou quoi ? »

Irving s’approcha de lui. Il sentit l’odeur de Leycross par la vitre ouverte. « Sinon, on va au n
o
 4 et on discute de ton retour anticipé à Attica.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? Vous savez un peu ce qui va m’arriver si je vous emmène là-bas et que vous commencez à coffrer du monde…

— Je ne vais coffrer personne, Timothy. Je serai là en simple visiteur, un simple acheteur intéressé par ce que tes amis ont à vendre…

— Ce ne sont pas mes amis.

— Eh bien, tant mieux. Tant mieux s’ils ne te connaissent pas. Comme ça, ils ne te poseront pas de questions sur moi.

— Si vous êtes si bien informé et si vous savez où ça se passe, allez-y tout seul.

— Je sais comment ça marche, Tim. Crois-moi. C’est le genre d’endroit où on ne va pas sans invitation ou recommandation personnelle. Vendredi soir, je serai donc ton rendez-vous amoureux. Tu te fais tout beau, d’accord ?

— Conneries de merde… »

Irving donna une grande tape sur le toit de la voiture. Leycross sursauta.

« Allez, ça suffit, dit Irving en brandissant le sac. Tu m’emmènes au Bedford Park ou c’est moi qui t’emmène au n
o
 4.

— D’accord, d’accord, d’accord… Mais vraiment, c’est une méthode d’enfoiré. C’est du harcèlement !

— Et ça ? fit Irving en cognant l’épaule de Leycross avec le sachet rempli de DVD. C’est un gentil divertissement pour la famille ? Tu es un porc, mon vieux. Un putain de gros porc. Alors ne me parle plus jamais de harcèlement, vu ? »

Leycross leva la main en signe d’apaisement. « 19 heures. Vous connaissez St. Vincent ?

— L’hôpital ?

— Rendez-vous sur le parking vendredi… à 19 heures.

— Ai-je besoin de te préciser de n’en parler à personne ? »

Leycross fit signe que non. Il jeta un coup d’œil sur les DVD que tenait Irving.

« Oh non, mon vieux ! Je les garde pour moi. Ils sont mes otages. Si tu ne te pointes pas, si j’apprends que la réunion a été annulée, ou si j’ai ne serait-ce que le vague soupçon qu’ils savent qui je suis, eh bien… on partagera tes préférences cinématographiques avec le reste du monde. Compris ? »

Leycross ne dit rien.

« OK, Tim ?

— OK, OK, répondit l’autre, exaspéré.

— Bien. Le parking de l’hôpital St. Vincent à 19 heures. »

Tandis qu’il regardait Leycross repartir en voiture, il se demanda quel dieu pouvait bien créer ce genre de personnes. Puis il sourit tout seul : cela faisait des années qu’il avait cessé de croire en un quelconque dieu.

24

  I
l y avait des lacunes. Si nombreuses que ça ne servait à rien d’en faire le compte. Des rapports de police avec des noms manquants, des contreseings sur des déclarations de témoins oculaires. Irving savait que les parents des jumeaux de 14 ans qui avaient découvert le corps de Mia Grant avaient signé un accord de divulgation de témoignage fait par personne mineure, mais ni Kayleigh ni Whittaker ne purent mettre la main dessus. Irving bipa la policière qui s’était rendue chez eux et reçut l’appel d’un collègue lui disant que la jeune femme serait absente jusqu’à la fin de la semaine. Il éplucha chacun des dossiers et découvrit d’autres oublis. Des photos de scène de crime avaient été datées de façon erronée. Une liste de noms – toutes les personnes interrogées dans l’enquête sur les assassinats Burch/Briley – était mentionnée dans le résumé du dossier, mais manquait à l’appel. Le témoignage de l’homme qui avait retrouvé les filles – Max Webster, commercial de son état – évoquait sa carte de visite, avec ses numéros de portable et de domicile figurant dessus, mais Irving ne la retrouva pas. Sans doute était-elle tombée par terre lors du transfert des dossiers ; elle pouvait donc être n’importe où, dans un escalier, à l’arrière d’une voiture, sous un bureau quelque part. Certes, on pouvait retrouver Webster sans difficulté, mais là n’était pas la question. Le fait qu’un seul élément ait pu disparaître laissait penser que d’autres manquaient aussi. Et si Irving ignorait ce que c’était, il ne pouvait évidemment pas savoir où les chercher.

Il rangea les DVD de Leycross dans le tiroir inférieur de son bureau et ferma à clé. Une fois que Leycross lui aurait donné accès à la soirée au Bedford Park Hotel, ces DVD seraient confiés à la brigade mondaine. Avec des gens de cette engeance, Irving n’avait aucun scrupule à manquer à sa parole. Cette petite ordure de Leycross retournerait bel et bien à Attica – aucun doute là-dessus.

Sur le tableau blanc, il nota tous les éléments qui devaient être retrouvés. Au-dessous, il écrivit : « Groupe du Winterbourne », puis, encore plus bas : « John Costello ». Sur la gauche du tableau, il nota « Bedford Park, vendredi 15.09.2006 Timothy Walter Leycross », et enfin, sous le nom de Leycross, celui de « George Delaney, alias Dietz ».

Une réunion de victimes de tueurs en série dans un hôtel, le deuxième lundi de chaque mois – participants non identifiés. Une autre réunion d’adeptes de la pornographie enfantine, de pédophiles et autres crapules de toutes sortes dans un autre hôtel. Y avait-il un rapport entre eux ? Y avait-il des points qui reliaient ces gens les uns aux autres ? Quelque chose qui l’orienterait vers le tueur qu’il avait désormais pour mission d’identifier et de localiser ?

Irving passa une heure à taper son rapport initial. Il en envoya copie par mail à Bill Farraday, puis chercha sur Internet les noms des victimes du Zodiaque – confirmées ou pas – dont l’agression avait eu lieu entre un mardi 12 septembre et Noël. À propos de Noël, il s’aperçut que ce serait son deuxième depuis la mort de Deborah Wiltshire. Il reporta son attention sur les noms des victimes du Zodiaque et les nota sur un autre tableau blanc – cinq agressions, cinq morts, un rescapé. Il repensa à John Costello, qui avait échappé au Marteau de Dieu, et se rendit compte que Robert Clare avait fait autant de dégâts, en trois agressions, que le Zodiaque : cinq morts et un blessé.

Il écrivit leurs noms, les dates des meurtres – 26, 27 et 29 septembre, 11 et 16 octobre. Cinq dates. La plus proche tombait donc dans moins de deux semaines. Saurait-il retrouver le Commémorateur en quatorze jours ?

Irving devait affronter la réalité. Hormis le nombre d’adolescents tués, si cette affaire ne faisait pas les gros titres et ne donnait pas lieu à des conférences de presse, elle ressemblait, au fond, à toutes les autres affaires.

Le
New York Times
et le
City Herald
avaient été informés que le cabinet du maire souhaitait un moratoire sur la couverture médiatique jusqu’à nouvel ordre. Mais une telle exigence ne pourrait pas durer éternellement. Certes, plus l’intervalle entre les assassinats serait long, moins la presse s’y intéresserait. Si les faits remontaient au jour même, voire à la veille, les journaux pouvaient les exploiter. En revanche, les nouvelles de la semaine précédente étaient tout juste bonnes à emballer le poisson et à tapisser les cages à oiseaux. Le meilleur indice du soutien et des ressources dont il disposait, c’étaient les deux heures que Kayleigh et Whittaker lui avaient accordées. Qu’est-ce que cela lui indiquait ? Que Farraday l’appuyait, bien sûr, mais que même lui était obligé de maintenir une forte présence policière dans les rues, à la lumière des déclarations du maire selon lesquelles la délinquance diminuait parce que la police était visible. Ensuite, il y avait le directeur Ellmann, qui se préparait aussi en vue de la bataille électorale. Un nouveau maire signifierait sans doute un nouveau directeur de la police. Ellmann souhaitait donc que l’administration actuelle reste en place. C’était un bon directeur, l’un des meilleurs qu’Irving ait connus, mais il allait de soi qu’Ellmann ne sacrifierait pas son poste pour une affaire en particulier. Jamais il ne mettrait quatre inspecteurs et vingt-cinq agents sur le coup. Alors que lui restait-il ? Irving eut un sourire amer. Il restait John Costello – aussi fou soit-il, et lui-même suspect, faute de mieux –, qui l’aidait de mille et une façons qu’Irving ne comprenait pas tout à fait. C’était un pis-aller, une main sans paire ni brelan. On était mardi, soit trois jours avant la réunion au Bedford Park Hotel, qui elle-même risquait fort de ne le mener nulle part. Au mieux, c’était un pari insensé. Irving avait besoin d’autre pistes, d’autres directions. Il devait tout reprendre de zéro, tout réorganiser. Il devait creuser le moindre détail et retrouver les pistes perdues. Il voulait aussi savoir qui était vraiment Costello, et pourquoi ce dernier avait une telle envie de se mêler à une histoire qui ne le concernait pas – qui
apparemment
ne le concernait pas.

Il se laissa aller sur son siège et ferma les yeux quelques secondes. Ce qu’il avait en face de lui ressemblait à un cauchemar au ralenti. Tout était presque là, devant lui – chaque image, chaque rapport, chaque témoignage oculaire dont disposait la police –, mais quelque part se cachait un petit élément, un fil ténu : s’il mettait la main dessus, il savait qu’il pourrait le suivre. Au bout de ce fil se trouvait l’homme qui commettait ces meurtres. Il s’agissait simplement de le trouver.

Il rouvrit les yeux, souleva la première pile de dossiers posée par terre et commença à lire.

25

  M
ercredi 13 septembre, le matin. Irving avait à peine dormi. Il avait passé des heures à lire en détail chaque dossier, sans trouver le fil conducteur. Il s’était épuisé à force de chercher. Au bout d’un moment, les écritures illisibles et les innombrables coquilles avaient fini par l’exaspérer. Personne n’avait téléphoné, pas même Farraday. Pendant ces premières heures du jour, le monde extérieur à la salle des opérations avait été calme, plus calme qu’à l’accoutumée, comme s’il existait un espace au sein duquel seul Irving pouvait émettre un son. Le monde attendait ce qu’il avait à lui dire.

Ça y est… J’ai trouvé qui est ce type… Je sais où il habite… Les véhicules de patrouille sont déjà en route…

Irving était parti à 2 h 30, peut-être même un peu plus tard, avait rampé jusqu’à chez lui et dormi jusqu’à 4 heures. Il avait ensuite pris une douche, était retourné se coucher, n’avait pas arrêté de se retourner dans son lit jusqu’à 6 heures. Il avait alors essayé de regarder la télévision, mais sans parvenir à se concentrer.

Sur le coup de 8 h 15, il prit sa voiture et se rendit au Carnegie’s. Il commanda du jambon de Virginie, en avala deux ou trois bouchées, but une tasse et demie de café, oublia de laisser un pourboire. Il voulait fumer, un paquet, peut-être deux. Il était nerveux, il voyait se profiler le parcours désormais familier qu’il emprunterait s’il n’arrivait pas à rester objectif. Dans ce métier, c’était toujours une question de vie ou de mort. Pas la sienne – celle d’un autre.

Sept messages l’attendaient à son bureau : trois de Jeff Turner, un de Farraday accusant réception de son rapport, un de la part de l’entreprise de nettoyage à sec, un autre des télécoms, enfin le dernier de Karen Langley, du
City Herald
. Il rappela d’abord Turner. Ce dernier lui dit simplement qu’une photo de l’autopsie de Mia Grant avait été oubliée et qu’il la lui envoyait par coursier.

À 9 h 20, il téléphona à Karen Langley, fut mis en attente pendant une ou deux minutes. Elle finit par décrocher et attaqua d’emblée par une question incongrue.

« Comment est-ce que vous tenez le coup, inspecteur ? »

Il fut pris au dépourvu. « Pardon ?

— Comment est-ce que vous tenez le coup maintenant que cette affaire est votre bébé ? Maintenant que vos collègues ont caviardé mon article ?

— Vous êtes au courant ?

— J’ai de grandes oreilles, répondit-elle avec un soupçon d’amertume.

— J’espère que votre bouche l’est un peu moins.

— Ce qui signifie ?

— Ne faites pas de bêtises, madame Langley. Vous êtes journaliste. Vous autres, vous formez une race à part.

— Comme les inspecteurs de police.

— Je suis sûr que vous n’avez pas pris mon appel uniquement pour me chercher des noises, madame Langley. »

Celle-ci hésita. Lorsqu’elle finit par répondre, le ton de sa voix avait perdu de sa sécheresse. « Vous savez qu’on a été censurés, n’est-ce pas ?

— Le mot est peut-être un peu fort, non ?

— Appelez ça comme vous voudrez. Il n’en reste pas moins que l’article a été caviardé.

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