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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (48 page)

BOOK: Les Assassins
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Plus tard, assis devant le capitaine Farraday et le directeur Ellmann, article en main, Irving se rendit compte que ce type de problème n’aurait pu être évité à cent pour cent. Manifestement, Trent avait parlé au
New York Times
le jeudi 9 novembre. Et le vendredi 10, trois jours avant la date anniversaire des meurtres d’Amityville, un titre volontairement accrocheur parut en page 2 du journal le plus lu d’Amérique :

 

NEW YORK EST-ELLE SOUS LA COUPE
D’UN TUEUR EN SÉRIE ?

 

De façon peu concluante, l’article relatait le meurtre de Mia Grant, le triple assassinat de Luke Bradford, de Stephen Vogel et de Caroline Parselle le 6 août, un crime sans lien apparent commis le même mois, puis se chargeait « d’alerter les habitants de New York, comme il est du devoir de la presse », sur le fait que la police avait entrepris une vaste opération de sensibilisation auprès de plusieurs centaines de familles. L’article ne donnait aucun détail, sinon que ces gens « pouvaient être menacés par un ou plusieurs individus inconnus », et ne précisait pas qu’il s’agissait de familles composées de six personnes. Cela fit suffisamment de bruit pour que le directeur Ellmann convoque une conférence de presse le vendredi 10, en début d’après-midi, afin de dissiper les craintes et d’éviter la psychose.

« Nous ne possédons à l’heure actuelle aucun élément probant indiquant que New York est menacée par un tueur en série. En réalité, il se peut bien que ce terme ne soit pas le bon. » Il s’exprima avec autorité. Si Irving n’avait pas été au courant des tenants et aboutissants de l’affaire, il aurait même pu le croire. Après tout, Ellmann était le directeur de la police de New York.

« Une opération est en cours depuis quelques jours, continua Ellmann, qui consiste à contacter plusieurs familles dans le cadre des limites de la ville – familles que l’on pourrait définir par certaines caractéristiques démographiques. Le but de cette opération est d’empêcher de nouvelles violences, et non de susciter l’inquiétude ou l’affolement chez les New-Yorkais. Je puis vous assurer que si vous, ou un membre de votre famille, n’avez pas été contacté par un représentant de la police de New York ou par un agent fédéral, vous n’êtes pas concerné par cette catégorie démographique et vous n’avez aucune crainte à avoir. »

Lorsqu’un journaliste de NBC lui demanda ce qui avait déclenché cette opération, Ellmann répondit sans la moindre hésitation.

« Par une des nombreuses pistes d’investigation que nous suivons, nous avons découvert certains éléments – pour l’instant non étayés – laissant penser qu’un individu s’apprête peut-être à commettre de nouveaux meurtres. Comme je vous l’ai dit et ne cesserai de vous le dire, il n’y a aucune raison de s’alarmer. Grâce aux actions entreprises en ce moment par la police de New York, et avec le précieux soutien d’agents du FBI, la situation est parfaitement maîtrisée. Je peux vous assurer que le risque d’un événement malheureux est très faible et que toutes les mesures sont prises, avec la plus grande rapidité et la plus grande efficacité possible, pour empêcher que les habitants de New York soient pris pour cibles. Je voudrais répéter, une fois encore, qu’il n’existe pas de motif d’inquiétude réel. Je demande à tous les New-Yorkais de vaquer à leurs occupations habituelles. Nous disposons d’une des meilleures polices de tout le pays, d’une police qui a à cœur de rendre les rues et les foyers de cette magnifique ville totalement sûrs. »

Dans un brouhaha de questions et de flashes crépitants, Ellmann mit fin à la conférence de presse.

Alors que leur patron quittait l’estrade, Ray Irving et Bill Farraday, postés devant la télévision dans le bureau de ce dernier, se regardèrent pendant quelques secondes. Farraday éteignit le poste et se rassit.

« Très bon boulot, fit Irving.

— C’est pour ça qu’il est le directeur.

— Il semblerait quand même que notre type a obtenu en partie ce qu’il voulait.

— Vous croyez que ça se résume à ça ? Que les médias parlent de lui ?

— Dieu seul le sait. Mais il doit y avoir de ça, non ? C’est le vieux cliché… Quelqu’un ne l’a pas écouté, quelqu’un n’a pas fait attention à lui, alors le monde entier va devoir regarder ce qu’il est capable de faire.

— Mouais, fit Farraday en indiquant la télévision. Tout ce que je peux dire, c’est que maintenant que c’est public, on a intérêt à ne pas se louper. Si lundi une famille de six personnes se fait trucider, eh bien… Je ne veux même pas y aller.

— Moi non plus.

— Bon. Où en est-on ?

— On a couvert quatre-vingts, quatre-vingt-cinq pour cent des familles. Il y a des failles, bien sûr. Des familles en déplacement, ou dont un des membres vit ailleurs, bref toutes ces choses qu’on avait prévues… Mais pour ce qui est des cinq cents familles disponibles, on a contacté environ quatre-vingt-cinq pour cent d’entre elles.

— Continuez. Il n’y a rien d’autre à faire.

— C’est exactement ce que je pense, dit Irving en s’approchant de la porte.

— Au fait, Ray…

— Quoi ?

— Si ça merde lundi… Si on se retrouve vraiment avec six nouveaux morts sur les bras, la presse va nous tomber dessus comme une bande de vautours.

— Ce que je me dis, pour le moment, c’est que le temps qu’ils arrivent ici, je ne pense pas qu’il leur restera grand-chose à picorer. »

Il referma derrière lui la porte du bureau de Farraday et descendit rapidement l’escalier.

56

  E
lle s’appelait Marcie. Du moins c’est comme ça qu’elle voulait qu’on l’appelle. Baptisée Margaret, elle trouvait – du haut de ses 8 ans – que ça faisait lourd et ringard, comme un prénom de vieille, alors que Marcie, c’était un prénom joli et simple, avec deux petites syllabes. Deux syllabes, c’était parfait ; une seule, pas assez ; trois, trop. Marcie. Marcie Allen. 8 ans. Un petit frère, Brandon, que tout le monde surnommait « Buddy », âgé de 7 ans. Ensuite Leanne, 9 ans, et Frances, 13 ans. Ce qui faisait quatre personnes, six avec papa et maman. Le soir du dimanche 12 novembre, ils regardèrent tous ensemble une comédie en mangeant de la pizza et du pop-corn, car c’était le dernier soir avant l’école, et ils faisaient toujours des choses ensemble le dimanche soir – ils étaient comme ça.

Jean et Howard Allen étaient des gens bien. Ils travaillaient dur. Ils ne croyaient ni à la chance ni à la bonne fortune, sauf s’ils en étaient à l’origine. Howard, golfeur prometteur, repensait toujours à la vieille rengaine d’Arnold Palmer :
J’ai l’impression que plus je m’entraîne, plus je deviens chanceux
. Il trouvait que cette philosophie valait pour à peu près tout. Ainsi avançaient-ils dans la vie grâce à leur application, en respectant certaines valeurs. Bien que n’étant pas religieux et n’allant pas à l’église, les Allen avaient élevé leurs enfants avec l’idée, pleine de bon sens, que l’on récoltait ce que l’on semait. Howard avait coutume de dire : « Si on donne de la merde, on reçoit de la merde. » Jean, cependant, n’aimait pas entendre ce genre de langage en présence des enfants.

Chez les Allen, le coucher était échelonné. Buddy montait à 19 h 30, Marcie et Leanne à 20 h 15. Frances, adolescente, avait le droit de rester debout jusqu’à 21 heures. Elle trouvait toujours ça trop tôt, arguant que ses copines allaient au lit à 22 heures, si bien que c’était toujours la bataille devant la porte de sa chambre jusqu’à ce que Howard émette son
murmure sonore
, prenne son air sévère et lui ordonne d’aller se coucher, sans quoi elle serait privée de sortie. Ce n’était pas une méchante fille, loin de là, mais ses parents la trouvaient
obstinée
et
forte tête
, tout en estimant, dans leur for intérieur, que ces qualités la serviraient plus tard. Bien sûr ils ne le lui disaient pas mais, de tous leurs enfants, Frances était celle, d’après eux, qui se fraierait un chemin dans la vie et réussirait le mieux.

Howard Allen était un homme fier et il y avait de quoi. Il dirigeait sa propre affaire, une usine de composants électriques commerciaux, et la maison à deux étages qu’ils possédaient 17
e
 Rue Est, près de l’hôpital de Beth-Israel, était quasiment remboursée, à 30 000 dollars près. Au moins deux des enfants disposaient d’un compte pour financer leurs études, et les Allen avaient envisagé d’acheter un appartement non loin de Kips Bay Plaza, en vue de le louer à des étudiants de la fac de médecine de NYU. L’avenir était prometteur, il y avait des choses à planifier, d’autres à prendre en considération, et jamais ils ne s’étaient dit que tout cela pourrait s’arrêter brutalement un jour.

 

À 20 h 10, le samedi 12, Ray Irving téléphona à Karen Langley au
City Herald
. Pourquoi ce besoin de parler ? Il ne savait pas vraiment, et l’idée qu’elle ne soit pas là ne lui traversa même pas l’esprit. Alors il l’appela, tomba sur son répondeur, laissa un message simple : « Je voulais juste discuter un peu. Rien de grave. Rappelez-moi quand vous pouvez. »

Il avait noté le numéro de son domicile quelque part ; il aurait d’ailleurs pu le retrouver par mille autres moyens, mais il ne le fit pas. Peut-être ne voulait-il pas vraiment lui parler, mais lui montrer qu’il y avait pensé, qu’il avait fait l’effort de la recontacter. Car eût-elle décroché qu’il n’aurait pas su quoi lui dire.

Ce soir. Ce soir après minuit. Si on ne se trompe pas trop, il va sortir ce soir et tuer six personnes…

Et qu’aurait-elle répondu ?

Ray Irving fit les cent pas dans son bureau. La veille, il avait fait installer plusieurs téléphones, dont l’un qui permettait de relier les deux commissariats. Les inspecteurs Gifford et Hudson se chargeaient du standard, et quatre agents supplémentaires étaient là en cas de besoin. Tous les véhicules de patrouille de la ville étaient en alerte et une fréquence spécifique avait été attribuée au n
o
 4. Il y avait tant de variables, tant d’inconnues. Il y avait tellement de possibilités, tellement d’erreurs potentielles, humaines ou autres, qu’Irving trouvait insupportable la simple idée d’envisager tout ce qui pouvait mal se passer. En ce moment même, alors qu’il allait et venait entre la fenêtre et la porte de son bureau, maudissant Gifford et Hudson qui avaient déjà douze minutes de retard, six personnes étaient peut-être déjà mortes quelque part. Ces meurtres avaient peut-être déjà eu lieu. Irving avait étudié l’affaire d’Amityville sous toutes ses coutures. L’apparition du fils aîné, Ronald « Butch » DeFeo, au Henry’s Bar vers 18 h 30 le 13 novembre 1974, hurlant : « Il faut m’aider ! Je crois que ma mère et mon père ont été abattus ! » Jusqu’à ses aveux le lendemain : « Une fois que j’ai commencé, je n’ai pas pu m’arrêter. C’est allé tellement vite. » En plus d’obtenir la copie des rapports originaux, Irving avait lu tout ce qui existait sur les meurtres eux-mêmes. Peut-être pour essayer de comprendre, de repérer quelque chose qui lui indiquerait comment, pourquoi, où. Il n’avait rien trouvé, rien qui pût lui rendre la tâche plus aisée, ou en tout cas moins compliquée.

Alors il allait et venait dans son bureau, et il attendait Hudson et Gifford, et les téléphones restaient silencieux, aux aguets, et le cœur de Ray Irving pesait des tonnes.

Huit minutes après que Frances eut enfin accepté de regagner sa chambre, Jean et Howard Allen s’assirent dans la cuisine et se regardèrent longuement. Ils devaient discuter d’un sujet d’importance, mais ni l’un ni l’autre ne souhaitait lancer la discussion. En effet, la mère de Jean, qui dans le meilleur des cas était une femme difficile, veuve depuis onze ans, farouchement indépendante et toujours aussi navrée par les choix matrimoniaux de sa fille, attendait les résultats d’une biopsie. Les premiers symptômes n’étaient pas rassurants. Elle avait perdu du poids, surtout au cours des trois derniers mois, et avait fait deux malaises : le premier dans un centre commercial, le second chez sa fille, un dimanche, pendant le dîner.

Finalement, en ce dimanche soir, Jean dit : « Si les résultats ne sont pas bons, tu sais qu’on va devoir l’héberger. »

Howard ne répondit rien.

« Sa maison est beaucoup trop grande, Howard. Elle aurait dû la vendre après la mort de papa…

— Je ne pense pas qu’elle ait envie de venir ici, rétorqua Howard, conscient que sa remarque ne voulait rien dire.

— Je sais bien qu’elle n’aura pas
envie
de venir. Mais ce n’est pas le problème. Elle va être
obligée
de venir. Il va falloir qu’on lui fasse comprendre qu’elle n’a pas le choix.

— Il y a toujours l’autre possibilité…

— Jamais de la vie je ne la mettrai dans une maison de retraite, Howard. En plus, on ne pourrait même pas se le permettre…

— Et sa maison ? »

Howard savait qu’il marchait sur des œufs, qu’il courait sur des œufs, pour être plus précis, et avec des semelles de plomb, qui plus est, comme s’il voulait briser les coquilles, se couvrir de honte et d’ignominie pour avoir osé penser une telle chose.

« Je ne vendrai pas l’endroit où j’ai grandi pour payer une maison de retraite à ma mère, et tu sais très bien qu’elle n’acceptera jamais. Nom de Dieu, Howard, parfois je me demande si tu te soucies vraiment de son sort. »

Howard, très doué pour arrondir les angles tranchants qui apparaissaient de temps en temps dans leur couple, tendit la main et la referma sur celle de Jean. Il lui adressa un sourire chaleureux, de ceux qui rappelaient à sa femme qu’elle avait devant lui un homme bon, un vrai, un homme avec un cœur, un cerveau et un sens aigu de la morale. Un homme qu’elle avait eu raison d’épouser. Quinze ans qu’ils étaient ensemble, quinze ans que Howard supportait les remarques cinglantes, les petites piques, les critiques vicieuses déguisées en « idées constructives » proférées par sa belle-mère, Kathleen Chantry. Car cette dernière avait un idéal en tête, un idéal qu’aucun homme n’atteindrait jamais, et elle pensait que Jean s’était fourvoyée en épousant Howard Allen. Howard, avec son application au travail, sa patience extraordinaire à l’égard de ses enfants, sa dévotion inépuisable et sa fidélité sans faille à sa femme qui, en voyant la lumière dans ses yeux quand il la regardait, savait que cet homme l’aimerait toujours d’un amour inconditionnel…

Jean et Howard étaient nés bons, ils mourraient bons.

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