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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (52 page)

BOOK: Les Assassins
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« Pour résumer, dit-il à Vernon Gifford, on a des éléments circonstanciels et des on-dit. Rien ne prouve que Grant a ou n’a pas contacté Roarke. Roarke ne lui a jamais parlé directement, et les voix… De toute façon, en matière de preuve, les conversations téléphoniques ne valent rien. Le fait que Hill ait cogné sa femme n’est qu’un on-dit rapporté par Grant. On peut toujours interroger Laura Hill demain, mais… Et puis quoi, après ? De vieilles blessures ont été rouvertes. Elle peut très bien parler, ou se taire. Si son mari est aussi taré que le prétend Grant, elle aura sans doute trop peur de parler.

— Vous le soupçonnez d’avoir tué Mia Grant ?

— Non. Je le soupçonne d’être un connard. Mais de ce que j’ai vu de lui, il a l’air… »

Irving se tut quelques secondes. « J’ai envoyé Jeff Turner chez lui. S’il y a quelque chose à trouver, il le trouvera. Si Hill a tué la petite Grant, alors il a tué tous les autres, non ? On part du principe qu’il n’y a qu’un tueur pour toutes les victimes, depuis Mia Grant jusqu’à celle dont on ne connaît même pas le nom. » Il montra les panneaux de liège devant lui. « Vous pensez qu’un type comme Gregory Hill a pu être capable de faire tout ça ? »

Gifford secoua la tête. « Non, je ne crois pas. Bien sûr, je peux me gourer, mais je ne le vois pas du tout faire ça.

— Ce qui signifie qu’on a affaire à un coup monté. Tout a été préparé par notre expert ès anniversaires. Mais dans quel but ? Imaginons. Le Commémorateur appelle Roarke. Il se fait passer pour Anthony Grant. Roarke n’a pas parlé à Grant depuis des années, il ne se souvient plus de sa voix. Il croit le type sur parole, d’autant qu’il y a de l’argent à la clé. Notre tueur lui demande alors d’entrer en douce dans la maison de Hill… Si ça s’est passé comme ça, le tueur a donc forcément appris qu’on avait envoyé des patrouilles alerter toutes ces familles…

— Pas bien compliqué, après les déclarations d’Ellmann à la télévision.

— Attendez, Vernon. Il nous a prévenus, non ? Il nous a envoyé une lettre disant qu’il allait buter six…

— Vous pensez qu’il en a tué six autres, donc ? Vous croyez que c’était une diversion ?

— Putain, j’espère que non, Vernon. Mais j’ai l’impression qu’il n’a aucun mal à tenir parole.

— La journée du 13 va durer encore un bon bout de temps, fit Gifford en regardant l’horloge au-dessus de la porte.

— Vous devriez rentrer chez vous. Prenez quelques heures, si vous pouvez.

— Non, je reste avec vous tant que la journée n’est pas terminée.

— Ça ne veut rien dire, nuança Irving. Il a bien tué une fille dans un appartement de Montgomery Street qu’on a retrouvée douze jours après.

— Peu importe. Si vous restez là, je reste là. »

Irving se leva pour aller à la fenêtre. Désormais, les aubes et les crépuscules se mêlaient confusément, et tout ça à cause d’un seul homme. S’agissait-il de Gregory Hill ? Irving en doutait fort, mais il demanda tout de même à ce que la famille Hill soit confinée dans les deux chambres à l’étage pendant que Turner et son équipe passaient leur maison au peigne fin, officiellement afin de déterminer s’il existait d’autres éléments à charge contre Desmond Roarke dans sa tentative d’effraction, officieusement pour voir s’il y avait d’autres choses à découvrir au sujet de Gregory Hill.

Et cet interlocuteur anonyme ? Celui qui s’était fait passer pour Anthony Grant et avait stipendié Roarke pour qu’il s’introduise chez les Hill ? Ça aurait très bien pu être le détective privé engagé par Grant, le fameux Karl Roberts. Outrepassant un peu le cadre de la loi, allant un peu au-delà des limites de sa mission. Ce n’aurait pas été la première fois dans l’histoire. Mais Irving n’avait ni l’énergie mentale, ni les ressources pour retrouver cet homme. Il s’en occuperait une fois la nuit terminée, une fois qu’il saurait si la tentative d’effraction chez les Hill allait être leur seule source d’angoisse cette nuit… ou si quelque chose de bien pire les attendait.

62

  S
i Vernon Gifford s’était laissé convaincre par Ray Irving de rentrer chez lui, il n’aurait même pas eu le temps de regagner son appartement.

En effet, ce lundi 13 novembre, à 4 h 48 du matin, le commissariat n
o
 2 reçut un appel. Au départ, la standardiste eut du mal à comprendre, car son interlocuteur répétait sans arrêt les mêmes phrases. Après lui avoir demandé d’énoncer son message plus lentement, elle finit par comprendre : « 1448, 17
e
 Rue Est. Dites à Ray Irving qu’une fois que j’ai commencé, je n’ai pas pu m’arrêter. C’est allé tellement vite… »

Dès que l’homme eut reçu confirmation que son message avait été bien noté, il raccrocha. Plus tard, on apprendrait que l’appel avait été passé d’une cabine de la 17
e
 Rue Est. Mais avant qu’Irving en soit informé, que des voitures de patrouille soient envoyées sur place, que Vernon et lui-même aient constaté que personne ne répondait au 1448, 17
e
 Rue Est, l’auteur du coup de téléphone avait disparu depuis longtemps. La cabine serait interdite d’accès, photographiée, l’appareil à pièces soigneusement vidé, et chacune des trente et une pièces de monnaie analysée. Sans résultat.

« La famille Allen, dit Gifford à Irving alors qu’ils se trouvaient devant la maison. Howard et Jean Allen. »

On n’entendait que le silence. Le reflet des gyrophares sur les fenêtres conférait à la scène une atmosphère irréelle de carnaval.

Rien de plus effrayant qu’un clown dans la nuit
, pensa Irving, se rappelant l’expression du visage grimé de James Wolfe qui le regardait de son trou dans le sol.

Il était 5 h 36. Farraday, prévenu et tenu au courant de l’affaire Anthony Grant/Gregory Hill, avait autorisé Irving à prendre toutes les décisions qu’il jugeait nécessaires.

« Entrez dans cette foutue maison, lui avait-il dit. S’il n’y a personne, on réparera tous les dégâts… Allez-y et dites-moi qu’on n’a pas six autres cadavres sur les bras. »

Irving resta immobile un instant, puis se tourna vers Gifford. Il savait qu’il y avait autre chose, quelque chose qu’il n’avait pas du tout envie d’entendre.

Gifford, lui, détourna la tête pour ne pas lui faire face. « Quatre enfants », dit-il d’une voix étouffée.

Irving baissa la tête. Il avait le cœur noué. « Non », marmonna-t-il. Mais Gifford hochait le menton. Irving avait reçu le message par la radio et savait très bien ce que ça signifiait.
Une fois que j’ai commencé, je n’ai pas pu m’arrêter. C’est allé tellement vite.

« Quatre enfants », répéta Gifford avant de faire signe à deux agents qui arrivaient tout juste de l’arrière de la propriété.

« Tout est fermé à clé, dit le premier. Il semblerait que la porte de derrière soit équipée d’une alarme, mais c’est probablement beaucoup plus facile d’entrer par là-bas que par-devant.

— Personne ne répond au téléphone ? demanda Irving.

— Personne, inspecteur. On l’a laissé sonner cinq bonnes minutes.

— On va passer par-derrière. »

Les agents ouvrirent la voie, suivis des deux inspecteurs et de deux autres policiers d’une autre voiture de patrouille appelés en renfort.

Irving sortit de la poche de son manteau un gant de cuir, l’enfila, puis choisit une pierre grosse comme le poing dans le jardin à l’arrière de la maison. Avant de casser la petite vitre tout près du verrou, il leva les yeux vers Gifford.

« Allez-y, lui dit celui-ci. Qu’on en finisse. »

La vitre se brisa au premier coup. Irving ouvrit la porte. L’alarme était étrangement muette, et la maison sombre et glacée. Il eut un pressentiment. Une impression désagréable, qu’il ne connaissait que trop bien.

Il se tourna vers Gifford avant même d’avoir franchi le seuil.

« Appelez Jeff Turner. Dites-lui que je vais avoir besoin de lui. »

Gifford monta à bord de la voiture de patrouille la plus proche et lança un appel radio. En attendant la réponse, il étudia l’arrière de la maison et remarqua le câble de l’alarme sectionné sous l’ombre de la gouttière. Le peu d’optimisme qu’il avait pu garder en réserve – l’espoir qu’il s’agisse d’un canular téléphonique, qu’ils ne trouveraient qu’une pauvre maison vide – s’évanouit aussitôt.

Pendant ce temps, Irving pénétrait dans la cuisine silencieuse et fraîche des Allen. Elle ressemblait à mille autres cuisines new-yorkaises. La porte du réfrigérateur était constellée de petits magnets, dont un
smiley
noir et jaune. De toute évidence l’œuvre d’un gamin, sans doute un des enfants Allen. Une tache de couleur avec des jambes et une tête plumée à peine reconnaissable était dessinée sur une feuille de papier jaune accrochée au mur. Au-dessous figurait le mot « dinde », écrit en un mélange de minuscules et de majuscules, avec le « e » qui débordait de la page. Un dessin fait à l’école maternelle, pour Thanksgiving.

Le nœud serré qu’était le cœur d’Irving lui faisait maintenant l’effet d’un poing froid.

Il se retourna vers les deux agents derrière lui, lut leurs noms sur les insignes qu’ils portaient au-dessus de leur poche de poitrine. Anderson et Maurizio.

« Vous, restez ici, dit-il à Maurizio. Attendez Gifford et fouillez le rez-de-chaussée ainsi que le sous-sol. Cherchez toute trace d’effraction. Et vous, Anderson, montez à l’étage avec moi. »

En haut de l’escalier, Irving comprit. Presque sans hésiter, il repéra la tache de sang sur le montant de la porte à sa droite. Il se retourna et leva la main. Anderson s’arrêta net sur l’avant-dernière marche.

« Je vais aller voir, dit Irving à voix basse. Pour l’instant, moins on sera nombreux là-haut, mieux ce sera. »

Anderson acquiesça sans un mot. Quelque chose dans son expression jurait avec son physique imposant. Irving comprit : Anderson était jeune, il croyait encore un peu à l’équilibre des choses, il préférait se dire que la vie était plus souvent belle que laide. Il ne voulait pas voir ce qui les attendait au premier étage du 1448, 17
e
 Rue Est. Il en ferait des cauchemars. Le cynisme commencerait son travail d’usure sur lui – lentement, inexorablement – et d’ici dix ans, s’il s’accrochait bien, il ressemblerait à Irving et parlerait comme lui.

Le soulagement disparut du visage d’Anderson lorsqu’il vit Irving pousser de sa main gantée la première porte.

« Oh, mon Dieu… », l’entendit-il dire. La sensation qui irradia aussitôt de ses tripes, une sensation qui semblait rendre tous les muscles de son corps inutiles, il ne l’oublierait jamais.

Plus tard, il vit les cadavres, et il sut qu’il en ferait des cauchemars.

 

Jeff Turner arriva à 6 h 11. Il retrouva Irving dans le jardin.

« Il n’y a rien chez les Hill, dit-il. Mais j’imagine que Gregory Hill ne peut pas être votre homme, si ? »

Irving leva les yeux vers les fenêtres. « C’est tout récent. Ça s’est produit au cours des toutes dernières heures. Sans doute pendant que Hill était chez lui avec sa famille. Greg Hill n’aurait pas pu rêver meilleur alibi.

— J’ai cru comprendre que Grant, le père de la première victime, était impliqué ?

— C’est un coup monté, répondit Irving. Ou pas. Et puis, qu’est-ce que j’en sais, bordel ? Il se peut que le détective privé de Grant…

— Son détective privé ?

— Il en a engagé un, histoire d’être sûr qu’on n’était pas passés à côté de choses essentielles. En tout cas, ce n’est pas le problème le plus urgent.

— Et le fait que Hill a une femme et quatre enfants, et que Roarke a essayé d’entrer chez lui ce soir, comme par hasard… On dit que c’est une coïncidence ?

— On ne dit rien du tout, Jeff. Pour le moment…

— Pour le moment, on ne fait que retarder l’inévitable.

— Exactement.

— Vous m’accompagnez à l’intérieur ?

— Oui, répondit Irving. Je vous préviens, c’est moche… Très moche. »

63

  J
eff Turner n’était pas un New-Yorkais. Originaire de Californie, il était sorti de Berkeley avec un diplôme de criminologie et de criminalistique, puis avait élu domicile à New York après deux ans passés au bureau du shérif de San Francisco en tant que technicien de scène de crime de niveau 1. À 33 ans, il fut nommé technicien de scène de crime de niveau 2. Il en avait maintenant presque 43, et derrière lui dix ans d’études prolongées, comprenant une période de trois ans au département des investigations scientifiques et une longue liste de diplômes et autres certificats : photographie, analyse d’empreintes digitales, électronique, expertise en écritures, toxicologie, évaluation par les pairs et encadrement. Il était célibataire, sans enfant, collectionnait les cartes de joueurs de base-ball et aimait les Marx Brothers. Il avait vu tout ce qu’il y avait à voir à San Francisco et à New York, sinon en chair et en os, du moins en photo, en vidéo, en 16 millimètres ou en image numérique.

Sa vie était peuplée de morts. Il les comprenait bien mieux qu’il avait jamais compris les vivants. Ils lui parlaient sans se servir de mots. Ils lui disaient des choses qu’ils n’auraient jamais transmises de leur vivant. Et bien qu’athée, il croyait en la spiritualité fondamentale de l’homme. Il accordait à l’imagination et à la prescience un pouvoir supérieur, qui ne réduisait pas l’homme à quatre-vingts kilos de viande et à une valeur marchande estimée à 19 dollars. Tout au long de sa carrière, il avait vécu des moments. C’était le seul mot qui lui venait : des
moments
. Le sentiment que, non loin du corps, la personne elle-même était encore là, qui le regardait, peut-être avec l’espoir que lui, Jeff Turner, dans son infinie sagesse, saurait lui expliquer pourquoi cette chose terrible avait eu lieu. Était-ce l’esprit de l’individu ? Son âme ? Jeff Turner l’ignorait. Il ne cherchait pas à le savoir. Simplement, il sentait ce qu’il sentait, percevait ce qu’il percevait. Et au premier étage de la maison des Allen, dans l’heure qui s’écoula entre son arrivée et la fin de son premier examen des six cadavres, il pensa avoir vécu plus de
moments
que dans toute sa vie.

 

Lorsque le coroner adjoint, Hal Gerrard, se présenta, comme l’exigeait la loi, avant que les corps soient déplacés ou examinés plus en profondeur, il trouva Jeff Turner debout dans la cuisine, le visage blême, l’œil vitreux, le front nappé d’une mince pellicule de sueur.

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