The Running Man (8 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

BOOK: The Running Man
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Il passa par une étroite cour prise entre deux bâtiments, rampa sous une clôture séparant deux déserts d’asphalte, traversa un chantier abandonné grouillant de rats. Il resta tapi un bon moment dans les décombres pendant qu’un gang de motards passait dans un rugissement d’enfer ; leurs phares perçaient l’obscurité comme les yeux de vampires déments. Après avoir franchi une dernière clôture (en s’entaillant une main), il frappa à la porte de Molie Jernigan.

Chez Molie, officiellement prêteur sur gages, on trouvait de tout ― à condition d’avoir de quoi payer. Il pouvait vous trouver un aiguillon modèle police municipale, un fusil anti-émeutes, une mitraillette, de l’héroïne, du Push, de la coke, des déguisements divers, une pseudo-nana en styroflex (ou une pute en chair et en os si vous étiez trop fauché pour pouvoir vous payer du styro), et cent autres articles prohibés. Il pouvait également vous donner l’adresse de casinos clandestins ou de clubs « spéciaux ». S’il n’avait pas ce que vous cherchiez, il savait où le commander.

Lorsque Molie l’aperçut en ouvrant le judas, il lui dit avec un bon sourire :

— Tire-toi, tu veux ? Je t’ai jamais vu.

Prenant un air indifférent, Ben dit simplement :

— 
Nouveaux
dollars.

Molie se hâta d’ouvrir la porte, comme s’il avait soudain peur que Richards ne change d’avis. L’entrepôt était plein de vieux journaux, d’instruments de musique volés, de caméras, qui voisinaient avec des cartons de conserve et autres denrées alimentaires. Au sud du Canal, il fallait vendre de tout pour survivre, et surtout ne pas se montrer trop avide. Molie faisait payer le maximum aux richards des quartiers Nord, mais vendait sa marchandise presque à prix coûtant, voire moins, aux gens du quartier. Il avait par conséquent bonne réputation à Co-Op City, et jouissait d’une excellente protection. Lorsqu’un flic demandait à un indic local (il y en avait des centaines) ce qu’il savait sur Molie Jernigan, il apprenait en tout et pour tout que Molie était un vieux bonhomme inoffensif, à moitié sénile, qui faisait un peu de marché noir. Ses relations avec des boîtes
très
spéciales ne comptaient pas. Il y avait longtemps que la brigade des mœurs avait été supprimée ; le gouvernement n’ignorait pas que le vice et les perversions sexuelles constituaient le meilleur rempart contre les tendances révolutionnaires. Et seuls quelques initiés savaient que Molie vendait aussi, à des prix somme toute raisonnables, des faux papiers.

— Que te faut-il ? demanda Molie.

Avec un soupir, il alluma une ancienne lampe en col de cygne, qui projeta une lumière très blanche sur le petit bureau qui tenait un coin de l’entrepôt. Il était vraiment vieux, au moins soixante-quinze ans. A la lumière, ses cheveux entièrement blancs prenaient des reflets argentés.

— Carte d’identité. Permis de conduire. Livret militaire. Carte bancaire Axial. Carte de Sécu.

— Facile. Normalement, ça serait soixante dollars. Mais pas pour toi, Bennie.

— Vous le ferez ?

— Pour ta femme, oui. Mais pas pour toi. Je ne vais pas risquer ma peau pour une tête brûlée comme Bennie Richards.

— Ça prendra combien de temps ?

Molie eut un regard sardonique.

— Connaissant ta situation actuelle, je vais essayer de faire vite. Compte une heure par document.

— Cinq heures en tout... Je pourrais aller...

— Pas question, Bennie. Tu es devenu fou ? Avant-hier, un flic a débarqué chez toi avec une grosse enveloppe pour ta femme. Il est arrivé dans un fourgon blindé, avec six autres flics au moins. Flapper Donnigan était au coin de la rue, il a tout vu. Il est venu me le raconter. Pas très malin le petit Flapper.

— Je sais, dit Ben. C’est moi qui ai envoyé l’argent. Et Sheila, ça va... ?

— Comment savoir ? répondit Molie en sortant d’un tiroir des formulaires vierges, des tampons, des stylos... Ils sont déjà des centaines autour de l’immeuble, Bennie. Si quelqu’un venait lui présenter ses condoléances, il se retrouverait dans la cave, entouré de vingt mecs armés de matraques en caoutchouc. Faut pas mettre les pieds là-bas. Tu veux un nom particulier sur ces papiers ?

— N’importe quel nom fera l’affaire, à condition qu’il soit anglo. Bon Dieu, Molie ! comment fait-elle pour acheter à manger ? Et le docteur pour Cathy... ?

— Elle a envoyé le gamin de Budgoe O’Sanchez. Comment il s’appelle, encore...

— Walt.

— C’est ça, Walt. Je m’y perds, dans tous ces Walt et Mick. Je deviens sénile, mon brave Bennie. (Il leva la tête, comme pris d’une inspiration subite.) Mick Jagger, ça, c’était quelqu’un ! Je parie que tu sais même pas qui c’est.

— Je sais qui c’est, répondit Ben, mais son esprit était ailleurs.

C’était pire qu’il ne pensait. Sheila et Cathy étaient elles aussi dans la cage. Au moins jusqu’à...

— Pour le moment, elles ne risquent rien, dit Molie comme s’il avait deviné ses pensées. Mais toi, n’y mets pas les pieds. Tu es du poison pour elles. Tu peux comprendre ça ?

— Oui, dit Richards, soudain submergé par un affreux désespoir.

Il ne pouvait même plus rentrer chez lui. Tout devenait grotesque, irréel. Dans son esprit, les images se bousculaient : Laughlin, Burns, Killian, Jansky, Molie, Cathy, Sheila...

Tout tremblant, il regarda la nuit noire par le soupirail. Molie s’était mis au travail, en chantonnant un air où il était question des yeux de Bette Davis.
Bette Davis ?

— C’était un batteur, dit-il soudain. Dans ce groupe anglais, les Beetles. Mick McCartney.

— Ouais, ouais, dit Molie, penché sur sa tâche. Vous connaissez que ça, vous les gosses. Vous connaissez que ça.

Compte à rebours...
077

Il sortit de chez Molie à minuit dix, allégé de mille deux cents dollars. Molie lui avait également vendu un déguisement, simple mais efficace : cheveux gris, lunettes, jaquette qui modifiaient subtilement son profil et l’expression de sa bouche. Molie lui avait également conseillé de feindre un léger boitement : « Un rien, comme si tu avais une jambe moins forte que l’autre. Et n’oublie pas que tu as le pouvoir de troubler l’esprit des hommes. Le tout, c’est de t’en servir. Tu ne te souviens pas de cette réplique, hein ? »

Ben ne s’en souvenait pas.

Ses nouveaux papiers étaient au nom de John Griffen Springer, représentant en romans-cassettes. Age, quarante-trois ans ; veuf ; habitant Harding. Il n’avait pas le statut de technico ; cela valait sans doute mieux : les technicos avaient un jargon bien à eux.

Il se retrouva dans Robard Street à minuit et demi. Une bonne heure pour se faire attaquer. Mais aussi une bonne heure pour se déplacer discrètement.

Il traversa le Canal trois kilomètres plus à l’ouest, juste avant le lac. Il vit un groupe de clochards assis autour d’un petit feu, beaucoup de rats, mais pas un seul flic. A 1 h 15, il traversait le no man’s land situé sur la rive nord du Canal, succession d’entrepôts, de compagnies de navigation et de gargotes. Un quart d’heure plus tard, entouré de la foule des fêtards allant de boîte en boîte, il estima qu’il pouvait sans risque prendre un taxi.

Cette fois, le chauffeur le regarda à peine.

— Au Jetport, lui dit Richards.

— Ça marche, dit l’homme en démarrant.

En dépit de la circulation assez dense, ils arrivèrent à l’aéroport à 1 h 50. Traînant légèrement une jambe, Ben passa devant plusieurs policiers, qui ne firent pas attention à lui. Il prit un billet pour New York : la première destination qui lui venait à l’esprit. Il partit par la navette de 2 h 20. Il n’y avait qu’une quarantaine de passagers ; surtout des hommes d’affaires cuvant une cuite, ainsi que quelques étudiants. Le contrôle d’identité avait été une simple routine. Peu après le décollage, il s’assoupit.

Ils atterrirent à 3 h 06. Richards quitta l’aéroport sans incident.

A 3 h 15, le taxi s’engageait dans la voie express Lindsay. Il traversa Central Park en diagonale. A 3 h 20, Richards se fondit dans la ville la plus peuplée du monde.

Compte à rebours...
076

Il descendit au
Brant
, un hôtel tout juste convenable de l’East Side. Le quartier commençait à être à la mode ; il était tout de même à bonne distance de Manhattan, qui restait
le
quartier chic – le plus prestigieux du monde, en fait. En remplissant sa fiche, il repensa à la mise en garde de Dan Killian :
Restez près des vôtres.

Pensant qu’il valait mieux ne pas arriver dans un hôtel à une heure pareille, il avait fait arrêter le taxi à Times Square et était resté jusqu’à 9 heures du matin dans un « perverto-show » permanent. Il était mort de fatigue, mais chaque fois qu’il s’assoupissait, il était réveillé par une main qui lui frôlait la cuisse.

— Combien de temps restez-vous ? demanda l’employé de la réception en regardant la fiche au nom de John G. Springer.

— Aucune idée, répondit Richards en s’efforçant de prendre le ton mielleux d’un bon représentant de commerce. Ça dépend de la clientèle, vous savez.

Il lui versa soixante nouveaux dollars, correspondant à deux jours, et prit l’ascenseur pour le vingt-troisième étage. La fenêtre offrait une vue de l’East River, sinistre à souhait. A New York aussi, il pleuvait.

La chambre était propre mais totalement impersonnelle. Dans la salle de bains attenante, la chasse d’eau faisait entendre un gargouillis constant. Il essaya en vain de la réparer.

Il commanda un petit déjeuner ― œuf poché sur toast, boisson à l’orange, café. Lorsque le boy arriva avec le plateau, il lui donna un pourboire soigneusement calculé pour ne laisser aucun souvenir.

Après avoir posé le plateau devant la porte, il examina la caméra vidéo. Une petite plaque fixée sous le viseur donnait le mode d’emploi :

1. Introduisez à fond la cassette spéciale dans la fente A.

2. Tournez la bague de l’objectif pour obtenir la focale que vous désirez.

3. Appuyez sur le bouton B pour enregistrer image + son.

4. Un signal sonore indique la fin de la cassette, qui sera éjectée automatiquement.

Durée de l’enregistrement : dix minutes.

« Parfait, se dit Richards. Ils pourront me regarder dormir.

Il posa la caméra sur la table, la cala à l’aide de la Bible qui s’y trouvait, et vérifia le cadrage dans le viseur. Un mur gris et anonyme. Un lit parfaitement standard. Rien qui pût indiquer le lieu où il se trouvait. A cette hauteur, le bruit venant de la rue était négligeable ; pour plus de précaution, il ferait couler la douche.

Il faillit pourtant presser le bouton et passer dans le champ avec son déguisement. Quel crétin ! Il prit la taie d’oreiller et l’enfila comme une cagoule, puis mit la caméra en marche et alla s’asseoir sur le lit, face à l’objectif.

— Coucou ! s’écria Ben Richards d’une voix creuse, s’adressant aux millions de téléspectateurs horrifiés qui allaient le regarder le soir même. Vous ne pouvez pas le voir, mais je rigole en vous imaginant devant vos écrans, tas de merdeux !

Il s’allongea, ferma les yeux et essaya de vider son esprit. Lorsque la cassette s’éjecta avec un petit « bip » dix minutes plus tard, il dormait à poings fermés.

Compte à rebours...
075

 Quand Ben se réveilla, peu après 4 heures de l’après-midi, la chasse était ouverte. Depuis environ 3 heures, compte tenu du décalage horaire. Cela lui faisait froid dans le dos rien que d’y penser.

Il introduisit une nouvelle cassette dans la caméra, prit la Bible et lut à voix haute les Dix Commandements pendant dix minutes d’affilée, la taie d’oreiller sur la tête.

Il y avait des enveloppes dans le tiroir de la table de chevet, mais elles portaient le nom et l’adresse de l’hôtel. Il hésita un moment, puis haussa les épaules. Ça n’y changerait rien. Killian lui avait donné sa parole que le lieu d’envoi des cassettes, révélé soit par une adresse soit par le cachet de la poste, serait tenu secret. Il ne pouvait que lui faire confiance : il fallait envoyer ces cassettes, et on ne lui avait pas fourni de pigeons voyageurs.

Ben avait vu une boîte aux lettres près de l’ascenseur. Il alla y déposer les deux cassettes, empli de sombres pressentiments. Les employés des postes n’avaient pas le droit de participer aux Jeux et ne toucheraient en tout état de cause aucune récompense ― n’importe, cela paraissait horriblement risqué. Mais il n’avait pas le choix : s’il n’envoyait pas ces foutues cassettes, il ne toucherait pas un sou.

Il regagna sa chambre, alla fermer la douche (la salle de bains était aussi chaude et humide qu’une forêt tropicale) et s’assit sur le lit, le dos bien calé contre le mur, pour réfléchir.

Comment leur échapper ? Quelle était la meilleure stratégie ?

Il essaya de se mettre dans la peau du concurrent moyen. La première réaction, purement instinctive, était bien sûr : se terrer. Trouver un trou et ne plus en bouger.

C’est ce qu’il avait fait dans cet hôtel.

Les Chasseurs s’y attendaient-ils ? Evidemment. Ils ne se lanceraient pas à la poursuite d’un fuyard, loin de là. Ils iraient à la recherche d’un homme qui se cache.

Pourraient-ils le retrouver ici ?

Il aurait voulu pouvoir répondre par la négative, mais... Sans être mauvais, son déguisement était somme toute assez précaire. Les observateurs perspicaces étaient rares, mais il y en avait. Peut-être avait-il déjà été repéré. L’employé de la réception. Le boy qui lui avait monté le petit déjeuner. Un des visages anonymes du « perverto-show ».

Peu probable, mais pas exclu.

Et que valait la fausse identité que Molie lui avait fabriquée ? Le premier chauffeur de taxi l’avait amené tout près de Co-Op City. Et les Chasseurs étaient d’une redoutable efficacité. Ils allaient interroger tout le quartier. Sans répit. Leurs méthodes de persuasion étaient très sophistiquées. Quelqu’un finirait par leur dire qu’à l’occasion, Molie vendait aussi des faux papiers. La suite était prévisible. Molie leur tiendrait tête un moment, pour montrer au voisinage qu’il avait du cran, puis finirait par cracher le morceau. Il ne tenait pas à voir son entrepôt partir en fumée. Ensuite, une simple vérification au Jetport leur apprendrait la destination de John G. Springer.

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