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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (17 page)

BOOK: Les Assassins
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Il opta pour la première solution.

L’homme à la réception était âgé, peut-être pas loin de soixante-dix, voire un peu plus. En voyant Irving, il lui adressa un sourire chaleureux et son visage se plissa comme un chiffon.

« Vous êtes l’inspecteur de police », dit-il.

Irving s’arrêta net et se mit à rire – réaction nerveuse, gênée.

« M. Costello a laissé un message pour vous.

— Un message ? »

Le vieux sourit encore et lui montra un bout de papier plié en deux.

Irving s’en empara, le déplia et lut, rédigé dans une écriture extrêmement soignée : « Carnegie’s Delicatessen, croisement 7
e
 Avenue et 55
e
 Rue. 20 heures. »

Il ouvrit de grands yeux et fut gagné par une sensation bizarre, comme si quelque chose escaladait sa colonne vertébrale. Il frissonna ostensiblement, s’éloigna de la réception, hésita, se retourna encore.

« Monsieur ? fit le vieil homme.

— C’est M. Costello qui a laissé ça pour moi ? demanda Irving, qui avait du mal non seulement à y croire, mais à comprendre.

— Oui, monsieur. M. Costello.

— Dites-moi… Il vit ici ?

— Oh non, monsieur. Il ne
vit
pas ici, il vient juste pour les réunions. Comme tous les autres. Le deuxième lundi de chaque mois. Depuis aussi longtemps que je me souvienne.

— Les réunions ? Quelles réunions ? »

Le vieil homme secoua la tête. « Je suis désolé, monsieur, je n’ai pas le droit de vous le dire. »

Irving n’en revenait pas. Il avait l’impression d’avoir franchi un miroir déformant. « Vous n’avez pas le droit me le dire ?

— En effet, monsieur.

— Mais qu’est-ce que… Comme les Alcooliques anonymes ? Quelque chose dans le genre ?

— Quelque chose dans le genre. Oui, je pense qu’on peut dire ça.

— Pardon, mais je ne comprends pas. M. Costello vient ici pour une réunion le deuxième lundi de chaque mois et vous n’avez pas le droit de me dire en quoi consistent ces réunions.

— C’est cela, monsieur.

— Et il y a d’autres personnes qui viennent ?

— Je ne peux pas vous le dire.

— Mais vous avez parlé d’une réunion, n’est-ce pas ? On ne peut pas tenir une réunion tout seul, si ?

— J’imagine que non, monsieur.

— Donc il y a d’autres personnes à ces réunions.

— Je ne peux pas vous le dire.

— C’est ridicule. Quel est votre nom ?

— Je m’appelle Gerald, monsieur.

— Gerald… Gerald comment ?

— Gerald Ford. »

Irving hocha la tête, puis : « Gerald Ford. Comme le président Gerald Ford ? »

Le vieil homme sourit avec une telle sincérité qu’Irving fut décontenancé. « Exactement, monsieur. Comme le président Gerald Ford.

— Vous vous foutez de moi.

— Pas du tout, monsieur. C’est mon nom.

— Et vous êtes le propriétaire de cet hôtel ?

— Non, monsieur, je n’en suis pas le propriétaire. Je n’y fais que travailler.

— Et depuis quand ont lieu ces fameuses réunions ? »

Ford secoua la tête.

« Vous n’avez pas le droit de me le dire, c’est ça ?

— C’est ça, monsieur.

— C’est délirant… C’est tout simplement délirant. »

Ford acquiesça et sourit de nouveau. « J’imagine, monsieur. »

Irving regarda encore le bout de papier, avec l’adresse de la cafétéria où il se rendait presque tous les jours, et se demanda si ce à quoi il avait affaire était une vraie coïncidence, ou…

« Bien, dit-il. Bien… Dites à M. Costello que j’ai eu son message et que je le retrouverai à 20 heures.

— Très bien, monsieur. »

Irving fit un pas vers la porte, s’arrêta, se retourna vers le vieil homme posté derrière la réception, puis sortit et redescendit les marches vers le trottoir.

Pendant quelques instants, il ne sut pas quoi faire. Il décida quand même de retourner à son bureau à pied, par le Garment District. Il aurait pu prendre le métro, mais il voulait se donner un peu de temps pour réfléchir. Il ne comprenait décidément pas ce qui venait de se passer au Winterbourne Hotel. Il ne comprenait pas le bref échange qu’il avait eu avec Costello dans le hall du
City Herald
. Il se sentait dépassé et ne comprenait pas pourquoi. Rien n’était logique. Absolument rien.

 

Au commissariat, Irving apprit que Farraday serait absent toute la journée. Il fut presque soulagé. Il n’avait aucune envie d’avoir à expliquer une chose que lui-même ne comprenait pas. Bien qu’il n’eût contre John Costello que des soupçons circonstanciels, son instinct lui disait qu’il avait tout intérêt à l’interroger, afin de comprendre comment il avait fait le rapprochement entre ces meurtres. Mais la pensée de Karen Langley interrompit son projet. Il y avait déjà un article de journal en gestation, et un suffisait amplement comme ça.

Pas de message sur son bureau. Il en conclut qu’aucun accord n’avait été trouvé entre les divers commissariats en vue d’une enquête commune. Encore une fois, rien ne démontrait, pas même des éléments circonstanciels probants, que ces récents meurtres pouvaient être reliés. Rien, sauf un article écrit par Karen Langley sur la base des recherches de John Costello.

Assis à son bureau, une tasse de café devant lui, Ray Irving surfa sur Internet pour essayer de trouver davantage d’informations sur les meurtres originels. Il lut quelques pages sur Harvey Carignan, l’homme dont le meurtre de Kathy Sue Miller en 1973 avait été réédité sous l’aspect de l’assassinat de Mia Grant. Il trouva une phrase à son sujet, une phrase prononcée par un certain Russell Kruger, enquêteur à la police de Minneapolis. « C’est le diable, ce type, avait-il dit. Ça fait des années qu’on aurait dû le faire griller, et je vous assure que les gens auraient fait la queue pour appuyer sur le bouton. À sa mort, on aurait dû lui planter un pieu dans le cœur, l’enterrer, puis le déterrer une semaine plus tard et lui en planter un autre, juste pour être sûr qu’il soit bien mort. »

Il lut aussi un article sur l’exécution de Kenneth McDuff, l’homme qui avait commis en 1966 un triple meurtre, réédité par l’assassinat de Luke Bradford, de Stephen Vogel et de Caroline Parselle. McDuff avait été exécuté le 17 novembre 1998 dans la prison de Huntsville, au Texas. Il avait été reconnu coupable d’au moins quinze assassinats et, d’après les témoignages des personnes présentes ce jour-là, pas un seul opposant à la peine de mort n’était venu manifester. L’exécution fut supervisée par Neil Hodges, le directeur adjoint de la prison, en charge des exécutions.

Hodges était cité : « Les gens croient que l’exécution n’est pas douloureuse. C’est faux. En deux mots, les condamnés souffrent énormément. Ils sont comme physiquement paralysés, mais ils entendent. Ils se noient dans leurs propres fluides et s’étouffent jusqu’à en mourir. Oui, il arrive qu’il y ait des problèmes. Parfois, les types refusent de se coucher sur la table. Mais ici, nous avons le gardien le plus costaud de tout le Texas et il parvient à les faire coucher sur la table sans aucun problème. Ils sont sanglés en quelques secondes. Aucun problème. Ils vont sur cette bonne vieille table et se prennent leur coup de jus, que ça leur plaise ou non. »

Irving regarda la pendule au-dessus de la porte. Il sentait une boule désagréable au fond de ses tripes. Il était 18 h 40. Encore un peu plus d’une heure avant d’aller au Carnegie’s. Il but son café. Pour la première fois depuis très longtemps, il avait une envie folle de se fumer une cigarette.

Il releva l’existence de plusieurs sites intégralement dédiés aux gens nourrissant un intérêt morbide pour la vie et la mort des tueurs en série. Il avait beau se considérer comme quelqu’un de difficile à surprendre, certains articles comportaient des signes inquiétants d’idolâtrie et d’obsession. Le besoin constant, compulsif, de savoir ce qui se passait vraiment dans la tête de Jeffrey Dahmer, de Henry Lee Lucas et de leurs compères pendant qu’ils massacraient des dizaines d’êtres humains, ne lui semblait pas être un passe-temps particulièrement sain.

Pourtant – phénomène proche, d’une certaine manière, de celui qui incite à ralentir pour regarder un accident de voiture –, Irving ne put s’empêcher de revenir à la page consacrée à Kenneth McDuff, au récit de ses dernières heures, de son exécution.

L’homme était responsable de la mort de Robert Brand, de Mark Dunman et d’Edna Louise Sullivan en août 1966 – les trois assassinats décrits dans le témoignage que lui avait montré Karen Langley. Irving se rappelait l’absence totale d’humanité de McDuff lorsqu’il viola à plusieurs reprises une jeune fille de 16 ans, avant de l’étouffer au moyen d’un manche à balai de quatre-vingt-dix centimètres. Il fallut attendre trente-deux ans avant que celui-ci soit puni pour ses crimes. McDuff avait d’abord écopé de trois condamnations à mort en 1968, deux ans après les meurtres Brand/Dunman/Sullivan, peines plus tard commuées en peine de prison à perpétuité, avant d’être libéré le 11 octobre 1989. Au bout de quelques jours, il tuait de nouveau. Deux ans après, le 10 octobre 1991, il assassina une prostituée en la torturant atrocement. Cinq jours plus tard, il tua une autre femme. Quatre jours après Noël, dans une station de lavage, il enleva une femme mesurant un mètre soixante et pesant cinquante kilos. Il fallut sept ans pour la retrouver, violée et assassinée. Et ainsi de suite – une longue litanie d’actes brutaux et inhumains que McDuff semblait incapable de réfréner. Il ne se contentait pas de tuer ses victimes ; il les martyrisait. Il frappait à coups de bâton et de matraque. Il violait avec une rage sadique qui donnait des cauchemars aux enquêteurs les plus aguerris. Il faisait sauter les têtes de ses victimes à bout portant, il les taillait en pièces, il les découpait au couteau.

Irving relut le témoignage sur l’exécution de McDuff. Il ne put s’empêcher d’éprouver une sorte de satisfaction vengeresse.

McDuff avait d’abord été conduit sous escorte s
ur les vingt-quatre kilomètres qui séparaient Ellis Unit de la prison de Huntsville. Il fut placé dans une cellule vide à l’exception de lits superposés, d’une petite table et d’une chaise. À côté se trouvait une cellule de type « contacts strictement interdits » fermée par une porte couverte d’un fin grillage en acier. McDuff mangea son dernier repas – deux côtes de bœuf, cinq œufs au plat, des légumes, des frites, une tarte à la noix de coco et du Coca-Cola. À 17 h 44, on lui administra une pré-injection de 8 cl de penthotal de sodium à 2 %. Dans une pièce adjacente l’équipe commando attendait en silence ; des hommes vêtus d’une tenue de protection spéciale et armés de masses. À 17 h 58, McDuff apprit que la Cour suprême avait rejeté sa dernière demande de sursis. Les témoins affluaient déjà. Ils étaient dirigés, une fois franchie l’entrée principale de la prison, vers la salle de surveillance. À 18 h 08, McDuff se vit prier de quitter sa cellule et de marcher jusqu’à la salle d’exécution. Il n’offrit aucune résistance. Il fut couché sur la civière pendant une heure, avant d’être sanglé. Les infirmiers introduisirent deux aiguilles de calibre 16 et deux cathéters dans chacun de ses bras, reliés par des tubes au siège du bourreau. Un moniteur cardiaque et un stéthoscope furent fixés sur le torse de McDuff. Les rideaux séparant la salle d’observation de la chambre de la mort furent ouverts et le directeur de la prison, Jim Willett, lui demanda s’il avait une dernière chose à dire.

McDuff répondit simplement : « Je suis prêt à être soulagé. Soulagez-moi. »

Dans la salle d’observation avait pris place un homme de 74 ans, le père de Robert Brand, le garçon de 18 ans qui avait été assassiné vingt-deux ans plus tôt, avec Mark Dunman et Edna Sullivan.

Dix secondes plus tard, McDuff se fit injecter du thiopental de sodium, un anesthésiant rapide. Une minute plus tard, on lui donna 15 cl de sérum physiologique afin de faciliter le passage des 50 mg/50 cl de bromure de pancuronium, un relaxant musculaire, dérivé du curare, qui paralyse les fonctions respiratoires. McDuff dut éprouver une pression intense dans son torse, avoir une sensation d’étouffement qui le fit instinctivement chercher de l’air, puis de tournis et d’hyperventilation. Son cœur battait de plus en plus vite, l’ensemble de son système nerveux était inondé de poison. McDuff se retrouva ensuite incapable de bouger, mais il pouvait encore entendre et voir. Ses yeux se dilatèrent, tous les poils de son corps se hérissèrent ; 15 cl supplémentaires de sérum physiologique lui dilatèrent les veines avant qu’elles ne reçoivent une dose massive de chlorure de potassium. Injecté en intraveineuse, celui-ci brûle et fait souffrir : il rompt immédiatement l’équilibre chimique du corps, déclenche une contraction extrême de chaque muscle et, lorsqu’il atteint le cœur, le fait cesser de battre. Incapable de crier, McDuff dut ne rien sentir, sinon une terrible crampe au cœur. Deux minutes plus tard, il fut examiné et déclaré mort. Un autre témoin, Brenda Solomon, mère d’une des victimes de McDuff, dirait : « Il ressemblait au diable. Il part là où il doit aller. Je suis contente… Je suis ravie. »

En bas de l’article, Irving nota que l’auteur avait indiqué le coût total des médicaments ayant servi à tuer McDuff. 86 dollars et 8 cents.

Irving ferma les yeux et médita. Il avait voulu être inspecteur, avait quitté les Stups et la Mondaine pour rejoindre la Criminelle. Il avait travaillé, potassé, fait des nuits blanches pour réussir ses examens et monter en grade. Rien de tout cela ne l’avait préparé aux horreurs qu’il avait vues ; mais, aussi cynique, aussi amer qu’il pût être parfois, il croyait encore à la bonté fondamentale de l’homme. Il pensait que ceux qui tuaient, même sous le coup de la jalousie et de la haine, représentaient une minorité. En revanche, ces meurtres sadiques et ces exécutions étatiques qui s’apparentaient, par leur précision glaciale, à une vengeance administrative, ces choses-là se situaient à des années-lumière du commun des mortels. C’était l’éternel débat : prison à vie ou peine de mort ? Était-ce vraiment œil pour œil, dent pour dent ?

Mais qui étaient ces gens ? se demanda-t-il. Pourquoi se comportaient-ils ainsi ? Dans un autre article, un tueur en série condamné déclarait simplement : « Elles n’auraient rien pu dire, rien du tout. Elles étaient mortes dès l’instant où je les ai vues. Je me suis servi d’elles. Je les ai violées et puis je les ai tuées. Je les ai traitées comme des ordures. Qu’est-ce que vous voulez que je dise de plus, bordel ? »

BOOK: Les Assassins
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