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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (18 page)

BOOK: Les Assassins
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Dans le silence de son bureau, la question taraudait Ray Irving : si Langley et Costello avaient raison,
s’ils
avaient raison, alors cela signifiait que quelqu’un reprenait délibérément le flambeau là où ces gens l’avaient laissé…

Il se leva et quitta la pièce. Personne aux alentours. Dans les autres bureaux du couloir, toutes les lumières étaient éteintes.

Il se sentait troublé, mal à l’aise. Pour la première fois depuis l’enfance, il ressentait cette même angoisse qui s’empare de vous quand vous êtes seul dans une maison obscure.

Il récupéra sa veste, ses clés de voiture, puis se dépêcha de repartir et de descendre l’escalier.

Il fut soulagé d’apercevoir des visages connus au rez-de-chaussée, de saluer l’agent de faction, et se retrouva dans la rue, au milieu de la circulation et de la foule, des bruits et des odeurs de la ville.

Il repensa à John Costello, à son rendez-vous imminent au Carnegie’s – et à cette étrange devinette sur la voiture qui fonce à toute allure.

Le préjugé limite l’observation, quand l’observation permet de voir la réalité, et non pas ce que l’on s’attend à trouver.

Irving fourra ses mains dans ses poches et descendit la rampe qui menait au parking souterrain.

13

  U
ne tache en forme de larme sur la cravate de l’inspecteur. Le genre de tache qui se nettoyait avec un chiffon propre et de l’eau de Seltz.

John Costello compta les diamants sur la cravate. Il y en avait trente-trois, trente-cinq si on incluait les deux autres en partie cachés par le nœud.

D’après les cernes qui entouraient les yeux d’Irving, John Costello comprit que l’homme en avait marre d’être seul.

Lassesolitude.

Quelque chose comme ça.

Irving était un être difficile à déchiffrer. Il y avait des angles en lui, et ces angles donnaient une impression de profondeur, même si Costello avait du mal à dire si cette profondeur existait vraiment.

Costello sentait que quelqu’un était mort. Quelqu’un d’important. Les gens portaient ça sur eux comme une seconde peau.

« Avez-vous été marié ?

— Non, répondit Irving avec un sourire, je ne me suis jamais marié. Pourquoi cette question, monsieur Costello ? »

Costello se contenta de secouer la tête.

Ils étaient assis depuis huit ou dix minutes lorsqu’il lui expliqua enfin pourquoi il avait choisi cette cafétéria.

« J’ai fait des recherches sur vous en juin, après le meurtre de la petite Grant. Je n’ai pas eu de mal à trouver quel était votre commissariat, et puis quelqu’un que je connais vous a vu ici deux ou trois fois. Nous nous sommes donc dit que vous ne deviez pas habiter très loin si vous y veniez régulièrement.

— Nous ?

— Un ami… Une connaissance, à vrai dire.

— Attendez, monsieur Costello, il y a quelque chose qui m’échappe… Vous dites avoir fait des recherches sur moi en juin ?

— Exact.

— Et pour quelle raison ?

— Simple curiosité.

— Curiosité à quel sujet ?

— Au sujet de la personne qui allait enquêter sur l’affaire Mia Grant. Nous, enfin… J’étais curieux de savoir si vous alliez apprendre des choses qui ne soient pas déjà connues. »

Une serveuse arriva sur la droite d’Irving.

« Pour moi, rien, dit Costello. Vous voulez quelque chose, inspecteur Irving ? »

Irving fit signe que non.

Costello lança un sourire à la jeune femme. « Un peu de café… Du café, pour le moment, s’il vous plaît. »

La serveuse apporta une tasse, la remplit et laissa un pot de crème liquide sur la table.

Irving s’enfonça sur la banquette et étudia John Costello. Appréhension ? Soupçon ? Tout simplement malaise ? Il y avait quelque chose d’indéchiffrable dans les yeux de cet homme.

« Dites-moi ce que vous savez sur ces meurtres, fit Irving.

— Je n’en sais pas beaucoup plus que vous, inspecteur. Quelqu’un, peut-être plusieurs personnes, reproduit les meurtres d’anciens tueurs en série. C’est, manifestement, ce qui se passe. Le plus intrigant, je trouve, c’est que, sur les trois inspecteurs concernés par ces enquêtes en apparence distinctes, vous êtes le seul qui soit venu discuter avec Karen Langley.

— Vous êtes son enquêteur, pas vrai ? »

Costello acquiesça.

« Eh bien, monsieur Costello…

— John.

— Eh bien, John, vous pouvez sans doute imaginer quelle a été ma première pensée…

— Que je pourrais être l’assassin ? »

Irving, une fois de plus, fut désarçonné. Le rendez-vous au siège du journal, le message laissé à l’hôtel, le fait qu’ils se retrouvaient tous les deux au Carnegie’s… Il se sentait pris de vitesse à chaque pas qu’il faisait. Ce n’était pas normal.

« Eh bien, vous pouvez imaginer ma réaction à la lecture de cet article. Vous expliquiez que Mia Grant répondait peut-être à une petite annonce pour un boulot à Murray Hill.

— Je crois que nous avons dit qu’il y avait une forte probabilité.

— Du coup, la question est…

— Comment est-ce que je l’ai su ?

— Exactement.

— J’ai regardé là où elle vivait. J’ai regardé là où on l’a retrouvée. Je me suis dit que si elle allait quelque part, il y avait toutes les chances pour que ce soit vers le quartier de Murray Hill. J’ai récupéré un exemplaire du petit journal local, j’ai épluché les annonces et j’ai trouvé la seule annonce à laquelle une fille de son âge aurait pu répondre…

— Je sais tout ça, l’interrompit Irving. Je comprends bien. Ce que je ne comprends pas, c’est
pourquoi
vous en avez déduit qu’elle se rendait à un rendez-vous professionnel. »

Costello fronça les sourcils, comme intrigué par la question. « Mais à cause de Kathy Sue Miller.

— La victime originelle.

— Le 3 juin 1973. La jeune fille assassinée par Harvey Carignan. »

Irving sentait monter en lui l’agacement et la frustration. « Oui, monsieur Costello… John. Oui, je comprends bien, répondit-il sur un ton légèrement impatient. Mais le fait même de savoir qui était Kathy Sue Miller est pour le moins étrange. Il faut avoir une connaissance particulièrement précise d’un meurtre commis il y a presque vingt-cinq ans pour ne serait-ce que déceler une ressemblance entre les deux crimes. Il faut notamment savoir que Kathy Sue Miller était sur le point d’avoir un rendez-vous d’embauche pour simplement avoir l’idée de chercher dans la gazette du coin. Voilà la question qu’il faut se poser. Et puis les derniers crimes, ces deux jeunes filles…

— Ashley Burch et Lisa Briley.

— Exactement… Vous dites que ces meurtres sont liés à des crimes identiques qui ont été commis au début des années 1980.

— Le 12 juin 1980, répondit Costello. Cynthia Chandler et Gina Marano, assassinées par les Tueurs du Crépuscule. Sauf erreur de ma part. Je n’ai pas accès au rapport du coroner et je ne peux que supposer que Burch et Briley ont été tuées avec un calibre .25.

— Et l’adolescent retrouvé dans l’entrepôt ?

— Là, c’était un peu tiré par les cheveux.

— Tiré par les cheveux ?

— Oui… Disons que nous avons pris une certaine liberté poétique avec l’affaire James Wolfe. L’assassin était censé reproduire le meurtre de John Butkovich, mais John Gacy n’a jamais maquillé ses victimes en clowns – il a uniquement grimé son propre visage. La seule chose que je me dis, c’est que celui qui est derrière ça fait tout pour qu’on fasse le lien… Il sous-estime notre capacité à identifier des similitudes sans…

— OK, coupa Irving en levant les mains. Il y a quelque chose qui m’échappe. Vous êtes en train de m’expliquer que vous pouvez prendre les détails d’un crime récent, les relier à un meurtre plus ancien, qui peut remonter à quarante ans, et retrouver des similitudes…

— Mais oui. Bien sûr.

— Et ce avec n’importe quelle affaire criminelle ? »

Costello secoua la tête. « Vous allez beaucoup trop loin, inspecteur. Il ne s’agit pas de voyance, mais d’une étude technique. Le résultat de longues, longues années passées à tenter de comprendre pourquoi ces gens-là font ces choses-là. Une volonté de comprendre et d’étudier ce qui pousse quelqu’un à faire ça.

— Et cela fait partie de votre travail au sein du journal ?

— D’une certaine façon. Disons que c’est un centre d’intérêt. J’appartiens à un groupe qui analyse ces informations et essaie de tirer des conclusions du peu de renseignements qu’on arrive à recueillir…

— Un groupe ?

— Bien sûr.

— Vous voulez dire qu’il y a un groupe de gens qui étudient les meurtres…

— Les meurtres en série, inspecteur. Uniquement les meurtres en série.

— Et ?

— Et nous nous retrouvons le deuxième lundi de chaque mois au Winterbourne Hotel. Le reste du temps, nous restons en contact, par téléphone, par Internet… ou de toute autre façon. »

Irving, ébahi, gagné par un désarroi muet, se cala au fond de la banquette.

« Nous épluchons les journaux, nous regardons les informations à la télévision, reprit Costello. Certains d’entre nous sont équipés de récepteurs scanners et ont des contacts au sein de la police. Ensuite, nous essayons d’en déduire certaines choses.

— Et après ?

— Comment ça, et après ?

— Une fois que vous avez recueilli ces renseignements, vous en tirez des conclusions sur…

— Sur rien en particulier, inspecteur. Sur rien en particulier.

— Pourquoi le faire, alors ? Vous n’allez pas me dire que vous trouvez ça épanouissant ? Lire des choses sur des gens qui infligent ça à d’autres êtres humains ?

— Épanouissant ? fit Costello en riant. Non, vraiment pas épanouissant… Il s’agit simplement d’affronter la vie. Pour les uns, c’est peut-être une façon de tourner la page, pour les autres une occasion de rencontrer des gens qui ont ressenti le même genre de choses… D’essayer de comprendre ce qui leur est arrivé à la lumière d’autres expériences.

— Quelles expériences, John ? Expériences de quoi ?

— L’expérience d’avoir été assassiné… Ou plutôt, d’avoir failli être assassiné.

— Assassiné ?

— C’est bien ça, inspecteur. Voilà à quoi est consacré ce groupe. Nous avons tous une chose en commun. »

Irving ouvrit de grands yeux.

« Nous avons tous survécu. D’une manière ou d’une autre, nous avons tous survécu.

— Survécu à quoi, John ? De quoi parlez-vous ?

— Tentative d’assassinat, inspecteur. Nous avons tous été victimes de tentatives d’assassinat… Victimes de tueurs en série. Et pour une raison que la plupart d’entre nous ont cessé de chercher, nous avons survécu. »

Irving regardait John Costello sans rien dire.

Ce dernier sourit avec une simplicité presque désarmante.

« Vous avez survécu à un tueur en série ?

— En grande partie, sourit Costello. J’ai en grande partie survécu, inspecteur. »

14

  I
rving discuta encore un peu avec Costello, lui fit clairement comprendre qu’il était dorénavant impliqué dans l’enquête, qu’il ne devait pas quitter la ville ni évoquer les questions qu’on lui avait posées, ni même ses propres réponses. Costello semblait n’en avoir cure. Irving lui demanda son adresse et son numéro de téléphone. Il refusa, arguant qu’il pouvait être très facilement joint au journal. Irving, sentant qu’il ne pourrait pas l’y contraindre, laissa tomber.

« Vous comprenez bien que je ne suis pas totalement convaincu…

— Convaincu de quoi ? Que quelqu’un puisse connaître les tueurs en série comme d’autres les joueurs de base-ball ou les équipes de football ? Si je vous avais dit que je connaissais le score de tous les matchs des Giants depuis vingt ans, et les noms des joueurs, et leurs moyennes… »

Irving le coupa d’un simple geste de la main. « Ne quittez pas la ville, dit-il calmement.

— Je n’ai absolument aucune intention de quitter la ville, inspecteur. Croyez-moi. »

Irving n’avait plus rien à lui demander. N’ayant aucune raison de le retenir davantage, il le laissa partir, le regarda passer la porte puis s’en aller à gauche.

Irving marcha jusqu’au croisement avec la 57
e
 Rue Est et, prenant au sud-ouest, rejoignit la 10
e
 Avenue. Lorsqu’il referma enfin la porte de son appartement et ôta ses chaussures, il était déjà presque 22 heures.

Dans la cuisine, il se versa un verre de Four Roses et se planta devant la fenêtre qui donnait sur le De Witt Clinton Park. Il pouvait voir les fantômes des quais de l’Hudson, à gauche aussi loin que le musée de l’Air et de l’Espace, à droite aussi loin que le Jacob K. Javits Convention Center. La circulation formait un long serpent sur West Side Highway. Le monde vaquait à ses affaires. Les gens ouvraient et refermaient de petits chapitres de leur existence. Ils se rapprochaient puis s’éloignaient, se souvenaient puis oubliaient. L’espace d’une même minute, quelque part dans le monde, tout était en train d’arriver. Celui qui avait tué Mia Grant, massacré Ashley Burch et Lisa Briley, qui avait tabassé le corps de James Wolfe jusqu’à le faire entrer dans une trappe, qui avait abattu deux garçons dans le coffre d’une voiture, qui avait pris un manche à balai et écrasé de tout son poids le cou d’une pauvre fille… Celui-là – ou ceux-là –, cet inconnu, était quelque part. En train de réfléchir, de manger, de dormir, de planifier, d’affronter des problèmes, d’avoir peur – ou pas. Peut-être se sentait-il requinqué, peut-être indifférent à ce qu’il avait fait.

Ray Irving, lui, essayait de ne pas repenser à John Costello, car ce dernier ne rentrait dans aucun de ses cadres de référence.

S’il disait vrai, l’homme avait donc survécu à une tentative d’assassinat par un tueur en série. Il appartenait à un groupe de gens comme lui. Ils se retrouvaient le deuxième lundi de chaque mois et discutaient de leurs expériences. Ils parlaient des meurtres qui s’étaient produits, peut-être de ceux qui se produisaient
en ce moment
 ; ils en tiraient des hypothèses et des conclusions. Mais ils n’en faisaient rien. Sinon écrire un article de journal. Lequel article représentait maintenant, du moins potentiellement, une source d’ennuis sans fin pour la police. Il n’y avait rien de pire qu’une affaire soumise à la police et dont la police ignorait tout. C’était toujours synonyme d’embarras, de faux pas diplomatique et politique. Cela suscitait des questions, des moments gênants en conférence de presse, des discussions sans fin entre le directeur de la police et le maire concernant l’allocation des ressources, le rapprochement budgétaire, les renouvellements de candidatures. Tout ça ne faisait qu’alimenter les rumeurs, à l’intérieur comme à l’extérieur, et accroître les risques de voir la population s’émouvoir, s’affoler…

BOOK: Les Assassins
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