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Authors: R.J. Ellory

Tags: #Thriller

Les Assassins (33 page)

BOOK: Les Assassins
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— Oui. C’est compris.

— Parfait. Alors j’appelle John. Parlez-lui gentiment. Un seul mot de travers et je débarque illico pour vous en coller une. Ensuite, quand vous aurez un moment, vous pourrez me passer un coup de fil et me parler tout aussi gentiment, et peut-être que j’accepterai de sortir avec vous une deuxième fois. Vous pouvez aussi m’envoyer des fleurs pour vous excuser d’être un connard, d’accord ?

— Vous êtes une foutue…

— Je raccroche, inspecteur Irving. »

Sur ce, elle raccrocha.

Dans son oreille, Irving entendit la tonalité accusatrice de la ligne coupée.

 

Il mit dix minutes à trouver le numéro d’un fleuriste. Au moment où il posa la main sur le combiné, le téléphone sonna. Surpris, il décrocha aussitôt.

« Inspecteur Irving ?

— Monsieur Costello ?

— Vous vouliez me parler.

— En effet. Merci de m’avoir rappelé.

— Vous allez devoir être concis. Il y a une émission à la télévision que je ne dois pas rater.

— Oui, bien sûr. Mon Dieu, vous m’avez pris de court. J’étais juste en train de…

— C’est lié à l’affaire ?

— Oui, c’est lié à l’affaire… À notre assassin. Les crimes qu’il réédite et la lettre qu’il a envoyée. »

Costello rit – réaction aussi soudaine qu’inattendue. « Vous et moi avons pensé la même chose, il semblerait.

— Comment ça ? demanda Irving, perplexe.

— La question que je me pose, c’est pourquoi il n’imite que des crimes commis par des gens qui se sont fait arrêter, tout en se servant du code du Zodiaque pour envoyer la lettre de Shawcross. C’était ça qui vous taraudait ? »

Irving resta bouche bée pendant quelques secondes.

« Inspecteur ? Vous êtes toujours là ?

— Oui… Oui, je suis là… Oui, bien sûr. Je suis un peu, je ne m’y attendais pas… Excusez-moi, mais vous m’avez pris au dépourvu. Je… J’étais en train de…

— De penser exactement la même chose ?

— Oui. C’est assez incroyable.

— Pas tant que ça, en fait. Quand on étudie le problème objectivement, on s’aperçoit que ça ne colle pas. C’est la première chose qu’on doit faire dans ce genre de cas : chercher l’élément qui ne colle pas.

— J’ai passé au crible les dates de tous les meurtres du Zodiaque, avérés ou non, et j’ai découvert que…

— Qu’il aurait pu rééditer n’importe lequel d’entre eux, n’importe quel mois, sauf en janvier. Il y a eu des crimes chaque mois de l’année, sauf en janvier.

— Exact… Et le seul qui ait eu lieu en septembre avant la date d’aujourd’hui s’est produit…

— Un 4 septembre, coupa Costello. Alexandra Clery. Frappée à mort le 4 septembre 1972. Un lundi. Meurtre non confirmé pour ce qui concerne le Zodiaque.

— Donc il n’imite pas le Zodiaque.

— Pas encore, non. Bien qu’il y ait eu trois autres agressions commises en septembre – mais toutes après le 16.

— Conclusion ? demanda Irving.

— Un hommage.

— Pardon ?

— La lettre, je crois, était un hommage au Zodiaque.

— Un hommage ?

— Oui, fit Costello. Il tue comme d’autres assassins. Et qu’est-ce qu’il nous dit ? Il nous dit qu’il est capable de faire ce qu’ils ont fait. Et même mieux. Il est capable de le faire sans être arrêté. Il envoie la lettre de Shawcross avec le code du Zodiaque pour deux raisons. D’abord, il sait que les policiers sont moins intelligents que lui. Il doit donc s’assurer qu’ils font bien le rapport entre la prostituée retrouvée près des quais et la petite Steffen assassinée par Shawcross en 1988. Ensuite, et à mon avis c’est beaucoup plus important, il veut nous dire où il va…

— Où il va ?

— Dans les manuels d’histoire, vous comprenez ? En route pour la gloire des grands criminels. Il veut être une star de cinéma.

— Il veut être aussi célèbre que le Zodiaque.

— Il veut être Ted Bundy, John Wayne Gacy, et même sans doute le véritable Hannibal Lecter. Mais il veut rester inconnu jusqu’au bout, comme le Zodiaque. Et peut-être même battre tous les records.

— Mon Dieu… Carignan a assassiné plus de cinquante personnes…

— Vous incluez là ses crimes non confirmés. Pour les confirmés, il en a commis entre douze et vingt. C’est toujours la difficulté. Ces gens ont tendance à mentir sur leurs faits d’armes. Ils avouent des meurtres qu’ils n’ont pas commis et refusent de reconnaître ceux qui ont été de toute évidence commis par eux. Il s’agit toujours d’une estimation, voyez-vous ? Cependant, d’après les renseignements communément admis, on peut dire que les Tueurs du Crépuscule ont tué sept personnes, Gacy trente-trois, Kenneth McDuff une quinzaine au vu des preuves dont on dispose, et Shawcross affirme en avoir assassiné cinquante-trois, même si, encore une fois, le chiffre probable se situe plutôt entre quinze et vingt-cinq.

— Et le pire de tous ?

— Difficile à dire, répondit Costello. Le pire de tous les temps n’est pas un Américain. C’est un Colombien du nom de Pedro Lopez. Il a tué plus de trois cents personnes. Ensuite vous avez un duo américain, Henry Lee Lucas et Ottis Toole, qui en ont apparemment assassiné plus de deux cents et avoué une trentaine après ce qu’on appelle la folie meurtrière de l’autoroute. Les sœurs De Gonzales, deux tenancières de bordel mexicaines, quatre-vingt-onze corps retrouvés dans leur établissement au début des années 1960. Bruno Lüdke, un Allemand, quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq morts à son actif. Ensuite, le tristement célèbre Chikatilo, un Russe cannibale, qui en a tué une bonne cinquantaine. Onoprienko, autre Russe qui voulait visiblement décrocher le record mondial de meurtres en série mais qui s’est fait arrêter avant sa cinquante-troisième victime. Suivi d’un autre Américain, Gerald Stano, emprisonné à l’âge de 29 ans pour avoir assassiné quarante et une femmes, surtout des prostituées et des petites fugueuses, en Floride et dans le New Jersey. Il fut envoyé sur la chaise électrique en mars 1998. Gary Ridgway, le Tueur de la Green River, a quelque chose entre trente-cinq et cinquante victimes à son actif, la plupart à Seattle et à Tacoma. Gacy arrive après lui, avec cinquante-trois morts, puis vous avez Dean Corll et Wayne Williams, tous deux avec vingt-sept morts. Donc pour répondre à votre question, notre ami doit dépasser largement les cinquante victimes s’il veut entrer dans les annales. Et encore : si on se limite aux tueurs en série américains. En revanche, s’il veut battre le record du monde, il va falloir qu’il s’active très sérieusement. »

Irving observa un long silence. Il était en train d’avoir une discussion sur un sujet qu’il avait beaucoup de mal à appréhender.

« Pour l’instant, on en est à huit, finit-il par répondre.

— Huit victimes connues. Il y a toujours la possibilité qu’il vienne d’une autre ville. Il se pourrait même qu’il ait fait une pause pendant un laps de temps et qu’on ne cherche pas assez loin dans le passé pour retrouver le début du cycle. »

Irving sentit un frisson sur sa nuque.
Le début du cycle
. La formule rendait toute cette affaire incroyablement clinique.

« La vérité, c’est qu’il n’existe aucun moyen de prévoir qui il va choisir d’incarner la prochaine fois, dit Costello.

— Sauf bien sûr si quelque chose, dans les crimes précédents, nous livre un indice qu’on aurait manqué.

— Vous pensez qu’il veut vous montrer ce qu’il fait ?

— Comment savoir ce qu’il veut nous montrer ? Comment savoir ce qu’il veut montrer au monde ?

— Je crois qu’il veut montrer au monde qu’il est le meilleur. »

31

  P
eu après 12 h 30, moins d’une heure avant son coup de fil prévu à Chaz Morrison, il fut appelé à l’accueil. Morrison avait passé un appel depuis son téléphone fixe à 12 h 17. Il avait transmis ses exigences à quelqu’un : homicides multiples, de préférence remontant à plus de vingt ans ; trois ou quatre victimes, position du corps inhabituelle, vêtements laissés sur la scène de crime – bref, tout ce qui sortait un peu de l’ordinaire. Morrison et son contact avaient plaisanté sur les goûts banals des gens. Le contact avait répondu qu’il lui donnerait ce qu’il cherchait et lui avait conseillé de rappeler le lundi soir suivant. Fin de l’appel. En un quart d’heure, Irving apprit que le numéro de téléphone correspondait à celui d’une adresse dans Greenwich Village, près de la station de métro de la 14
e
 Rue. Il entra l’adresse dans la base de données des fonctionnaires municipaux et tomba sur un nom. Dale Haynes, 25 ans, sans antécédents judiciaires, actuellement employé par le service de restauration des archives de la police.

Irving tenait donc le nom du vendeur. Il pouvait le faire tomber pour enfreinte aux clauses de confidentialité stipulées dans son contrat de fonctionnaire, vol et recel d’un bien appartenant à la municipalité. Mais tout ça n’avait pas grande importance ; l’essentiel était de savoir si, oui ou non, ce fameux Haynes avait fourni des photographies de scènes de crime au Commémorateur.

À 13 h 30, il avait un mandat de perquisition et une patrouille de surveillance était postée devant l’appartement de Haynes. Tout ça arrivait avant le coup de fil prévu à Chaz Morrison, mais Irving n’hésita pas longtemps. Farraday lui avait demandé un compte-rendu détaillé de ses activités et avait accédé à toutes ses demandes. Il avait l’air content de son travail ; il lui avait dit de choisir six hommes du n
o
 4 et de les déployer comme bon lui semblait. Haynes ne devait leur échapper sous aucun prétexte. Certes, pour l’instant, il n’était pas soupçonné d’avoir commis les meurtres, mais il représentait une piste potentielle et exigeait d’être manipulé avec le plus grand soin. Irving ne pouvait pas passer le moindre marché avec Haynes sans le feu vert définitif et spécifique de Farraday, lequel agirait à son tour en liaison étroite avec le procureur. L’affaire était trop importante pour être bâclée à coups d’erreurs de procédure.

En ce samedi 16 septembre, à 14 h 03, l’inspecteur Ray Irving se présenta devant l’appartement de Dale Haynes et frappa bruyamment à sa porte. Il déclina son identité et attendit les trente secondes réglementaires avant de faire une deuxième tentative.

À 14 h 04 passées de trente secondes, les hommes enfoncèrent la porte à l’aide d’un bélier.

Irving et trois agents investirent aussitôt l’appartement, pièce par pièce. Une porte était fermée. Avant même qu’Irving ait le temps de donner un grand coup de pied dedans, une voix hurla : « Attendez une minute ! Attendez, quoi ! »

— Dale Steven Haynes ? s’écria Irving.

— Oui… Je suis là… Qu’est-ce qui se passe ?

— Sortez de là. Les mains sur la tête. C’est la police !

— Qu’est-ce que c’est que ce…

— Sortez de la pièce, monsieur Haynes. Je compte jusqu’à trois. Si je ne vois pas la porte s’ouvrir, on l’enfonce.

— D’accord, d’accord… Bordel, mais qu’est-ce que c’est que cette connerie ? »

Irving hocha la tête en direction des agents, qui se positionnèrent de part et d’autre de la porte, collés contre le mur. La poignée fut actionnée. Irving se posta derrière un fauteuil et s’accroupit. Il avait la porte en ligne de mire.

Avant même de pouvoir dire ouf, Haynes fut extirpé de la pièce et menotté, à genoux. Vêtu d’un simple tee-shirt et d’un short, il avait les yeux hagards, le visage blême, l’air absolument terrorisé.

« Dale Steven Haynes, je vous arrête car vous êtes soupçonné d’avoir volé des bien appartenant à la municipalité et de les avoir vendus illégalement. Vous avez le droit de vous taire, mais tout ce que vous direz pourra et sera retenu contre vous. Vous avez le droit de disposer d’un avocat. Si vous ne pouvez pas vous le permettre, le tribunal en désignera un d’office… »

Haynes pleurait.

« Inspecteur ? lança un des agents dans la chambre.

— Gardez un œil sur lui », ordonna Irving à l’autre agent. Il passa à côté de Haynes, toujours agenouillé, et franchit le seuil de sa chambre.

Il devait bien y avoir huit ou neuf cantines. Des cantines en métal, de taille standard. Dedans, des enveloppes en kraft ; à l’intérieur de chaque enveloppe, des dizaines de photos. Tout ce qu’il était possible d’imaginer, certains clichés étaient absolument épouvantables, mais tous étaient issues de dossiers d’enquête restaurés et envoyés aux archives de la police new-yorkaise. Des affaires classées, seulement. Ces images, c’était le passé criminel de New York, c’étaient ses fantômes, ses spectres, des milliers de vies détruites par des tueurs, connus ou non. Dale Haynes arrondissait ses fins de mois en revendant les souvenirs les plus noirs de la ville.

Pendant un moment, il fut incapable de prononcer le moindre mot. Lorsqu’il se ressaisit enfin, il ne put dire que : « Je ne voulais pas que ça aille aussi loin… Je suis désolé… Je sais ce que vous cherchez… Je suis vraiment désolé. Putain, je suis tellement désolé… »

32

  H
aynes craqua sans même subir un interrogatoire en bonne et due forme. Il n’exigea pas d’avocat, même si, une fois qu’Irving eut appelé Farraday, ce dernier comprit que la piste tenait la route et insista pour qu’un avocat commis d’office soit dépêché au commissariat. Farraday téléphona au directeur de la police Ellmann, Ellmann au procureur, et le procureur envoya un de ses adjoints en tant qu’observateur indépendant. Tout renseignement que pouvait fournir Haynes concernant l’éventuel acheteur d’objets liés à des meurtres plus anciens devait être en béton armé. Aucune contrainte, aucune méthode d’interrogatoire douteuse, aucune pression inutile.

Le barnum se mit en branle un peu avant 15 heures. Haynes était abattu, mais il s’excusait sans arrêt. Il regardait toutes les personnes qui se présentaient avec la même expression – un auto-apitoiement abject. Il voulait que le monde ait pitié de lui. Il voulait que les gens sachent qu’il était, au fond, un type bien, un type qui s’était fourvoyé, qui avait voulu trouver un moyen de gagner sa vie mais qui avait perdu les pédales…

Pendant qu’il était assis dans une des salles d’interrogatoire du commissariat, son appartement fut fouillé. On y retrouva neuf cantines remplies de photos volées. Haynes était, de toute évidence, quelqu’un d’organisé. Il avait classé les photos selon le sexe, l’âge approximatif et la mort des victimes. Garçons, filles, adolescents des deux sexes, femmes de plus de 20 ans, hommes de plus de 20 ans, et une catégorie spéciale pour les victimes ayant dépassé la quarantaine. Il avait fait de son mieux pour distinguer les suicides, les morts par balles, les étranglements, les étouffements, les empoisonnements, les viols suivis de meurtre, les noyades, les traumatismes causés par des objets contondants, les décapitations et les coups de couteau. Puis une catégorie consacrée aux cas divers et variés, y compris celui d’un homme ligoté sur une chaise, auquel on avait coupé les mains à hauteur des poignets et qu’on avait laissé se vider de son sang. À première vue, il y avait là plus de sept mille photos, et Haynes – méthodique jusqu’au bout – avait recensé les noms codés, les dates, le nombre de clichés achetés, les sommes qu’il avait perçues, et le fait que le client était venu les chercher en personne ou avait demandé à se les faire expédier par courrier.

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