The Running Man (14 page)

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Authors: Richard Bachman

Tags: #Fiction, #Horror, #Thrillers, #General, #sf

BOOK: The Running Man
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Richards alluma une nouvelle cigarette au mégot de la précédente. Des crampes fulgurantes traversaient tous ses membres, mais c’était bon signe : la vie revenait.

— On t’a réservé une chambre à l’hôtel Winthrop House, dans la rue du même nom. Ça fait très chic, mais ça l’est pas du tout. Tu t’appelles Ogden Grassner. Tu t’en souviendras ?

— Oui. Mais on me reconnaîtra immédiatement.

Bradley se pencha et sortit de dessous le siège un carton beige soigneusement ficelé. Richards interrogea Bradley du regard.

— Ouvre-le.

Il vit d’abord des lunettes à verres épais teintés de bleu, posées sur du tissu noir. Il les mit dans le vide-poches et déplia le vêtement. C’était une soutane.

Au fond du carton, il y avait un rosaire, une bible et une étole violette.

— Je vais me transformer en curé ?

— Tout juste. Je vais t’aider à te changer. Il y a une canne sur la banquette arrière. Tu n’es pas aveugle, mais presque. Tu te cognes souvent dans les meubles. Tu es à Manchester pour participer à une réunion du Conseil des Eglises sur le thème de la drogue.

— Je vois. (Richards commença à déboutonner sa chemise.) Je garde mon pantalon, sous ce truc ?

Bradley éclata de rire.

Compte à rebours...
057

Bradley avait pris le volant. Tout en traversant la ville, il donnait d’ultimes directives à Richards :

— Ta valise est dans le coffre. Tu y trouveras une série d’étiquettes autocollantes. Dessus, il y a marqué : « en cas de non-distribution, retourner à Brickhill Manufacturing Co., Manchester. » Rich et un autre copain les ont imprimées eux-mêmes. Au Q.G. de la bande, on a une petite presse. Tous les jours, tu m’envoies tes deux cassettes par exprès, dans une boîte sur laquelle tu colleras une de ces étiquettes. Je les ferai suivre de Boston. Ils n’y verront que du feu.

Bradley ralentit, cherchant une place. Il se gara à quelques mètres du Winthrop House.

— Je vais reconduire cette voiture au parking où on était. Ne sors pas de Manchester avec, à moins de changer de déguisement. Faut devenir un vrai caméléon, mon vieux.

— Combien de temps crois-tu que je serai en sécurité, ici ? demanda Richards.

Il était tellement épuisé qu’il avait du mal à penser rationnellement. Il s’en remettait entièrement à Bradley.

— Ta chambre est réservée pour une semaine. Ça ira peut-être, mais c’est à toi de voir. Garde les yeux bien ouverts. Dans la valise, tu trouveras un nom et une adresse. Un gars de Portland, dans le Maine. Il te cachera un jour ou deux. Ça ne sera pas gratis, mais il ne te dénoncera pas. Faut que je m’en aille. Stationnement limité à cinq minutes. C’est le moment de passer à la caisse.

— Combien ? demanda Richards.

— Six cents.

— Tu veux rire ? Ça ne couvre même pas les frais.

— Si. Il reste même quelques dollars pour la famille.

— Prends-en mille.

— Garde ton fric, t’en auras besoin.

Richards hocha la tête.

— Mais enfin, Bradley...

— Envoie-nous un million si tu tiens jusqu’au bout. On serait casés pour la vie.

— Tu crois que j’y arriverai ?

En guise de réponse, Bradley eut un sourire empreint de tristesse.

— Pourquoi fais-tu tout ça pour moi ? Je comprends que tu m’aies caché : j’en aurais fait autant. Mais tu as dû forcer la main aux gars de ta bande ?

— Ils étaient d’accord. Ils connaissent la règle du jeu.

— Quelle règle ?

— Si on se serre pas les coudes, on est foutus. Pas la peine d’attendre que l’air pollué nous tue. Autant ouvrir tout de suite le gaz et fermer les fenêtres.

— Ils vont finir par te tuer, dit Richards. Il se trouvera bien quelqu’un pour te dénoncer, et tu te retrouveras les tripes à l’air dans un sous-sol. Ou Stacey. Ou Man.

Les yeux de Bradley lancèrent des éclairs.

— Bientôt, ça ira mal pour ces larves au ventre bourré de rosbif. Leur fin est proche ! J’ai vu du sang dans la lune. Des fusils et des torches. Un mort qui marche et qui parle...

— Ça fait deux mille ans que les gens voient des choses de ce genre.

Un signal sonore annonça la fin des cinq minutes. Richards chercha à tâtons la poignée de la portière.

— Merci. Je ne trouve pas d’autres mots, mais...

— Dépêche-toi avant qu’ils me filent une contredanse. (Une puissante main brune agrippa un instant sa soutane.) Et quand ils te pinceront, ne pars pas seul.

Richards descendit maladroitement et alla ouvrir le coffre. Il en sortit une valise en plastique noir. Bradley lui tendit une canne en faux bambou et démarra sans ajouter un mot.

Richards regarda la voiture s’éloigner. Il vacillait légèrement (cela, il n’avait pas besoin de le feindre) et s’efforçait de prendre un regard de myope. En voyant les feux arrière disparaître au coin de la rue, il ressentit du soulagement. Pas pour lui, mais pour Bradley.
Comme il doit être heureux d’être enfin débarrassé de moi !

En montant le perron de l’hôtel, Richards buta contre la première marche. Le portier se précipita pour l’aider.

Compte à rebours...
056

Deux jours passèrent.

Richards jouait son rôle à la perfection... comme si sa vie en dépendait. Il dînait dans sa chambre, se levait à 7 heures, lisait sa Bible dans le hall de l’hôtel, puis allait à sa réunion fictive. Le personnel du Winthrop House le traitait avec la cordialité légèrement méprisante réservée aux prêtres peu favorisés par le sort (à condition qu’ils paient leur note) en cette époque de guerre bactériologique en Egypte et en Amérique du Sud, sans oublier la notoire loi sur l’avortement obligatoire adoptée par le Nevada. Le pape était un vieillard de quatre-vingt-seize ans, dont les anathèmes fulminants contre ces événements faisaient les gorges chaudes des commentateurs du Libertel.

Richards tenait ses « réunions » dans une bibliothèque publique où, dans un cabinet de lecture privé qu’il avait loué, il lisait des livres sur la pollution. Il n’y avait guère de renseignements postérieurs à 2002, et le peu qu’il y avait ne collait pas du tout avec ce qui avait été écrit auparavant.

A midi, il allait déjeuner dans un petit self proche de l’hôtel. Lorsqu’il bousculait des passants, ce qui lui arrivait souvent, il s’excusait avec un doux sourire. Quelques-uns lui disaient que ça ne faisait rien, et l’appelaient « mon père ». La plupart le repoussaient en marmonnant des insultes.

Il passait l’après-midi dans sa chambre d’hôtel et dînait en regardant
La Grande Traque
. Il avait déjà posté quatre cassettes sur le chemin de la bibliothèque. Apparemment, le système fonctionnait.

Les réalisateurs avaient adopté une nouvelle tactique pour étouffer le message antipollution de Richards, qu’il ne cessait de répéter avec une frénésie souriante (après tout, les sourds-muets devaient pouvoir lire sur ses lèvres). Ils le noyaient sous les rugissements de la foule, qui devenait de plus en plus hystérique et d’une obscénité effroyable.

Au cours de ces longs après-midi, Richards réfléchissait au changement, pas nécessairement bienvenu, qui s’était opéré en lui depuis qu’il avait rencontré Bradley et la petite Cassie. Il n’était plus un loup solitaire luttant pour lui-même et pour sa famille. Il luttait maintenant pour toutes les victimes de la pollution et d’un système injuste.

Richards n’avait jamais été un homme social. Il avait rejeté avec mépris toutes les causes, tous les engagements. C’était bon pour les riches, pour les gogos, pour ces stupides étudiants avec leurs badges et leurs groupes de néo-rock.

Son père avait disparu dans la nuit alors que Ben n’avait que cinq ans. Il se souvenait à peine de lui. Il ne lui en avait jamais voulu. Il comprenait fort bien qu’un homme ait sa fierté, et qu’il la préfère à des responsabilités qui le privent de son honneur et de sa virilité. Un homme ne peut pas tolérer longtemps que sa femme se prostitue pour faire vivre la famille. Autant se jeter tout de suite par la fenêtre, estimait Richards.

De cinq à seize ans, il vécut d’un tas de petites combines, avec son frère Todd. Leur mère était morte de la syphilis alors qu’il avait dix ans, et Todd, sept. Cinq ans plus tard, Todd avait été tué par une voiture dont les freins avaient lâché alors qu’il faisait le plein d’air, dans une rue en forte pente. La mère et le fils avaient abouti au crématoire municipal. Amers et désabusés, les gosses du quartier savaient qu’un jour, ils finiraient eux aussi en fumée, vomis par les hautes cheminées dans le ciel de la ville.

A seize ans, il s’était retrouvé seul ; après l’école, il faisait ses huit heures à G-A comme nettoyeur de machines. En dépit de ce travail éreintant, il ressentait durement sa solitude. Parfois, la nuit, il était pris de panique à l’idée qu’il n’avait aucun lien sur cette terre, qu’il allait à la dérive, sans rien pour le retenir.

Alors, il s’était marié. Sheila avait passé la première année dans un silence hautain, pendant que leurs amis (et les ennemis de Richards : il s’en était fait beaucoup par son refus de faire partie d’un gang local) attendaient l’arrivée de l’Utérus-Express. Comme il n’arrivait pas, ils finirent par se lasser et les laissèrent dans cette sorte de no man’s land réservé aux nouveaux mariés à Co-Op City. Les amis se firent rares. Cela ne gênait pas Richards, au contraire. Il travaillait avec rage, faisant des heures supplémentaires dès que possible. C’était mal payé, il n’y avait aucune chance de promotion, l’inflation était galopante – mais ils s’aimaient. Et leur amour dura. Pourquoi pas ? Richards était le genre d’homme solitaire capable de donner à la femme de son choix infiniment d’amour et d’affection, avec, sans doute, une bonne dose de domination psychologique. En onze années de mariage, ils n’avaient pas eu une seule dispute digne de ce nom.

Il avait quitté son travail en 2018 parce que ses chances d’avoir un enfant diminuaient à chaque heure passée derrière les anciens et défectueux boucliers antiradiations de General Atomics. Au lieu de raconter un quelconque mensonge au contremaître qui lui demandait avec consternation pourquoi il démissionnait, Richards avait aggravé son cas en lui disant tout ce qu’il pensait de G-A, ajoutant qu’il pouvait se fourrer ses sales machines là où il pensait. Cela s’était terminé par une sanglante bagarre. Le contremaître était un gaillard d’aspect costaud, mais Richards l’avait fait chialer comme un môme.

Il avait été frappé d’ostracisme. Méfiez-vous de ce type. Il est dangereux. Si vous avez absolument besoin de main-d’œuvre, prenez-le pour une semaine puis flanquez-le dehors.

Les cinq années suivantes, il avait surtout vendu des journaux, mais il y avait de moins en moins de travail. Le Libertel tuait la presse écrite. Richards traînait dans les rues, regardait les annonces, travaillait un jour par-ci, un jour par-là.

Les grands événements de la décennie le laissèrent indifférent. Il ignorait tout du Massacre des Ménagères de 2024, lorsque sa femme lui en parla trois semaines après les faits : deux cents policiers armés de mitraillettes et d’aiguillons de forte puissance avaient repoussé une armée de femmes sur le point de prendre d’assaut les Entrepôts alimentaires du Sud-Ouest. Il y avait eu soixante victimes. Il savait vaguement que les gaz avaient été utilisés dans le Mideast. Mais cela ne l’affectait pas. La révolte ne menait à rien. La violence ne menait à rien. Le monde était ce qu’il était, et Ben Richards le traversait sans rien voir ni entendre, en quête de travail. Il trouva une interminable succession d’emplois temporaires. Il gratta la boue épaisse et visqueuse qui couvrait les quais, alors que d’autres, qui croyaient sincèrement chercher du travail, ne faisaient rien.

Circulez ! Ote-toi de là, morpion ! Pas de travail ! Va te faire voir chez les bougnoules ! Fous le camp ! Circulez !

Le travail se faisait de plus en plus rare. Un jour, il n’y eut plus rien. Un soir, alors qu’il revenait d’une de ses expéditions infructueuses, un richard en combinaison de soie sortant d’une quelconque orgie l’accosta : il lui donnerait dix nouveaux dollars s’il baissait son pantalon pour qu’il puisse vérifier si les clochards avaient réellement des queues de quarante centimètres de long. Richards l’assomma et prit la fuite.

Soudain, au bout de neuf ans, alors que personne n’y croyait plus, Sheila se retrouva enceinte. Il a travaillé pendant six ans à G-A, disaient les gens ; le gosse va être un monstre, un monstre à deux têtes et sans yeux.
Les radiations, les radiations, vos enfants seront des monstres...

Mais ce fut Cathy, toute ronde, sans un défaut, pleine de vie. Mise au monde par une sage-femme du quartier qui se fit payer cinquante
cents
et quatre boîtes de fayots.

Et maintenant, pour la première fois depuis la mort de son frère, il se retrouvait seul, à la dérive. Sans souci, ou presque : pour le moment, les autres avaient perdu sa trace.

Il repensa avec colère à la Fédération des Jeux, avec ses puissants moyens de communication. Tous ces hommes bien nourris, protégés par leurs filtres, qui sortaient avec des poupées en sous-vêtements de soie. A la guillotine ! Que le couperet tombe, et tombe, et tombe ! Mais ils étaient intouchables, comme le Réseau, comme le monstrueux Building des Jeux qui écrasait tout de sa masse.

Pourtant, parce qu’il était ce qu’il était, et parce que dans sa solitude il était en pleine mutation, il y pensait. Il ne se rendait pas compte qu’en ces moments, il arborait un terrible sourire de carnassier, un sourire capable de faire fondre le bitume et d’ébranler les gratte-ciel. Le même sourire qu’en ce jour presque oublié où il avait assommé un obscène richard et s’était enfui, les poches vides et l’esprit en feu.

Compte à rebours...
055

La journée de lundi ressembla exactement à celle de dimanche (pour les travailleurs, la notion de congé hebdomadaire n’existait plus). Jusqu’à 6 h 30 du soir.

Après avoir commandé un suprême de volaille (la cuisine de l’hôtel, exécrable pour quiconque connaissait autre chose que les hamburgers des fast-foods et les comprimés alimentaires, paraissait délicieuse à Richards) et une bouteille de vin rouge léger, le père Ogden Grassner s’installa pour regarder
La Grande Traque
. La première partie, consacrée à Richards lui-même, n’apporta rien de nouveau. Le son de ses clips était couvert par les vociférations du public. Bobby Thompson était onctueux et virulent. La police procédait à une fouille méthodique de tous les immeubles de Boston. Quiconque abriterait le fugitif serait mis à mort... Richards commençait à trouver tout cela presque amusant. Tant qu’ils ne montraient pas des veuves éplorées et des orphelins.

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