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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

Le Jour des Fourmis (57 page)

BOOK: Le Jour des Fourmis
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— On dirait qu’elle n’a pas
envie de nous y amener, remarqua Laetitia Wells. Je ne vois qu’un moyen de
débloquer ce problème : il faut lui… parler.

— D’accord. Excellente occasion
de voir comment fonctionne la machine « Pierre de Rosette » de ce bon
Arthur Ramirez.

185. UNE TERRE A BÂTIR

24
e
ne sait par quel bout
prendre le problème. Créer une communauté inter-espèces utopique, c’est bien
beau. Le faire avec le soutien d’un végétal et avec la protection de l’eau,
c’est encore mieux. Mais comment s’y prendre pour que tout le monde
s’entende ?

Les déistes passent le plus clair de
leur temps à reproduire leurs statues en forme de monolithes et elles demandent
à disposer d’un coin pour enterrer leurs morts.

Les termites ont trouvé un gros
morceau de bois sec et y restent calfeutrés. Les abeilles installent une
mini-ruche dans les branches du cornigera. Quant aux fourmis, elles aménagent
une salle qui servira de jardin à champignons.

Tout fonctionne normalement ;
pourquoi 24
e
devrait-elle se donner tant de mal à vouloir tout
ordonner ? Chacun fait ce qui lui plaît dans son coin, du moment que ça ne
gêne pas les autres.

Le soir, les membres de la
communauté se réunissent dans une cellule du cornigera et se racontent des
histoires de leur monde.

C’est cet instant banal, celui où
tous les insectes de toutes les espèces tendent leurs antennes pour écouter des
récits olfactifs de guerrières abeilles ou d’architectes termites, qui est le
principal trait d’union de la communauté.

La Communauté du Cornigera est liée
par une somme de légendes et de contes. Des sagas olfactives. Tout simplement.

La religion des déistes n’est qu’une
histoire parmi d’autres. Et nul ne se permettrait de la juger vraie ou fausse,
un seul critère importe : qu’elle fasse rêver. Et le concept de dieu fait
rêver…

24
e
propose qu’on
réunisse les plus belles légendes fourmis, abeilles, termites ou scarabées dans
des cuves semblables à celles de la Bibliothèque chimique.

La nuit bleu marine apparaît dans un
orifice-hublot du cornigera, éclairée par une pleine lune blanche.

Ce soir, il fait assez chaud et les
insectes décident de se raconter leurs histoires sur la plage.

Un insecte émet :

… le roi termite tournait déjà
depuis deux cycles autour de la loge nuptiale de sa reine quand, soudain, les
équipes de creusement de l’arbre signalèrent qu’un coléoptère
horloge-de-la-mort troublait les pulsions érotiques de la souveraine…

Un autre :

… c’est alors que surgit une
guêpe noire. Elle fonce sur moi l’aiguillon tendu en avant. J’ai à peine le
temps de…

Tous frémissent de la même peur
rétrospective que l’abeille askoleïne.

Le parfum des jonquilles, alentour, le
flic-floc paisible de l’eau caressant le rivage les rassurent.

186. LE JUGEMENT DERNIER

Arthur Ramirez les accueillit
chaleureusement, il allait mieux. Il les remercia de ne pas les avoir dénoncés
à la police. M
me
Ramirez n’était pas là, elle faisait sa prestation
à l’émission « Piège à réflexion ».

La journaliste et le policier lui
expliquèrent qu’il était arrivé un événement nouveau : aussi incroyable
que cela puisse paraître, une fourmi était venue leur apporter un message
manuscrit.

Ils lui montrèrent la lettre et
Arthur Ramirez comprit tout de suite le problème. Il tira les poils de sa barbe
blanche puis accepta de faire fonctionner sa machine « Pierre de
Rosette ».

Il les guida au grenier, mit en
marche plusieurs ordinateurs, éclaira les flacons de parfums producteurs de
phéromones, secoua des tubes transparents pour éviter tout dépôt.

Avec mille précautions, Laetitia
extirpa 103
e
de sa fiole et Arthur l’installa sous une cloche de
verre.

Deux tuyaux partaient de cette
cloche : l’un aspirait les phéromones odorantes de la fourmi, l’autre lui
transmettait les phéromones artificielles traduisant les messages humains.

Ramirez s’assit devant son tableau
de commande, régla plusieurs molettes, vérifia encore des témoins lumineux,
tourna des potentiomètres. Tout était prêt. Il ne restait plus qu’à lancer le
programme reproduisant les mots humains en parfums fourmis. Son dictionnaire
français-fourmi comprenait cent mille mots et cent mille nuances de phéromones.

L’ingénieur se plaça face au micro
et articula soigneusement :

Émission : Salutations.

Il appuya sur un bouton et l’écran
vidéo transforma le mot en formule chimique, transmise ensuite aux fioles de
parfums qui se vidèrent selon l’exact dosage du dictionnaire informatique. À
chaque mot, son odeur spécifique.

Le petit nuage contenant le message
fut propulsé dans la tuyauterie grâce à une pompe à air et parvint dans la
cloche.

La fourmi agita ses antennes.

Salutations.

Message reçu.

Une soufflerie nettoya la cloche de
tout relent parasite pour que son message de réponse puisse être capté
proprement.

Les tiges sensitives vibrèrent.

Le nuage réponse remonta le tuyau
transparent, parvint jusqu’au spectromètre de masse et au chromatographe qui le
décomposèrent molécule par molécule pour obtenir chaque liquide correspondant à
un mot.

Une phrase s’inscrivit peu à peu sur
l’écran de l’ordinateur.

Simultanément, un synthétiseur vocal
la prononça.

Tous entendirent la réponse de la
fourmi.

Réception : Qui
êtes-vous ? Je comprends mal vos phéromones.

Laetitia et Méliès étaient
émerveillés. La machine d’Edmond Wells fonctionnait vraiment !

Émission : Tu te trouves à
l’intérieur d’une machine qui peut servir à communiquer entre humains et
fourmis. Grâce à elle, nous pouvons te parler et te comprendre lorsque tu
émets.

Réception : Humains ?
Qu’est-ce que les humains ? Une espèce de Doigts ?

Apparemment, et c’était étonnant, la
fourmi n’était guère impressionnée par leur machine. Elle répondait sans façon
et semblait même connaître ceux qu’elle nommait les « Doigts ». Le
dialogue pouvait donc s’instaurer. Arthur Ramirez serra son micro.

Émission : Oui, nous sommes
le prolongement des Doigts.

La réponse retentit dans le
haut-parleur placé au-dessus de l’ordinateur.

Réception : Chez nous, on
vous appelle Doigts. Je préfère vous appeler Doigts.

Émission : Comme tu veux.

Réception : Qui
êtes-vous ? Vous n’êtes pas le Docteur Livingstone, je présume…

Tous trois en furent estomaqués.
Comment une fourmi pouvait-elle avoir entendu parler et du Docteur Livingstone
et de la phrase fameuse : « Vous êtes le Docteur Livingstone, je
présume » ? Ils crurent d’abord à une erreur de réglage du traducteur
ou à un dérèglement du mécanisme du dictionnaire français-fourmi. Aucun d’eux
n’eut l’idée de rire ou de s’imaginer qu’ils étaient peut-être en présence
d’une fourmi dotée d’humour. Ils se demandèrent plutôt qui était ce Docteur
Livingstone que connaissaient les fourmis.

Émission : Non, nous ne
sommes pas le « Docteur Livingstone ». Nous sommes trois humains.
Trois Doigts. Nos noms sont Arthur, Laetitia et Jacques.

Réception : Comment
avez-vous appris à parler le terrien ?

Laetitia chuchota :

— Elle doit vouloir dire :
comment se fait-il que nous sachions parler le langage odorant des fourmis.
Elles se croient évidemment les seuls vrais Terriens de référence…

Émission : C’est un secret
qui nous a été transmis par hasard. Et toi, qui es-tu ?

Réception : 103 683
e
,
mais mes compagnes préfèrent m’appeler 103
e
tout court. Je suis une
asexuée de la caste des soldates exploratrices. Je viens de Bel-o-kan, la plus
grande cité du monde.

Émission : Et comment se
fait-il que tu nous aies apporté ce message ?

Réception : Les Doigts qui
vivent sous notre ville ont demandé que ce colis vous soit transmis. Ils ont
appelé cette tâche la « mission Mercure ». Comme j’étais la seule à
avoir déjà approché des Doigts, mes sœurs ont pensé que j’étais la seule aussi
à pouvoir l’accomplir.

103
e
se garda bien de
préciser qu’elle était aussi la principale guide d’une croisade censée éliminer
tous les Doigts de la Terre.

Tous trois avaient des questions à
poser en particulier à la fourmi loquace, mais Arthur Ramirez continua à tenir
les rênes de la conversation.

Émission : Dans la lettre
que tu nous as donnée, il est dit qu’il y a des gens, pardon, des Doigts,
coincés sous ta cité et que toi seule peux nous conduire à eux pour que nous
les secourions.

Réception : C’est exact.

Émission : Alors,
indique-nous le chemin et nous te suivrons.

Réception : Non.

Émission : Comment ça,
non ?

Réception : Il me faut
d’abord vous connaître. Sinon, comment savoir si je puis vous faire
confiance ?

Les trois humains furent si surpris
qu’ils ne surent quoi répondre.

Ils avaient certes beaucoup de
sympathie, voire d’estime, pour les fourmis, mais de là à entendre l’une de ces
petites bestioles leur dire ouvertement « non », il y avait quand
même de la marge. Ce petit grumeau noir effronté sous cette cloche tenait entre
ses pattes la vie de dix-sept personnes. Ils pourraient l’écraser d’un simple
coup de pouce et elle osait refuser de les aider sous prétexte qu’ils ne lui
avaient pas été présentés !

Émission : Pourquoi veux-tu
nous connaître ?

Réception : Vous êtes grands et
forts mais j’ignore si vous êtes animés de bonnes intentions. Êtes-vous des
monstres, comme le croit notre reine Chli-pou-ni ? Des dieux
tout-puissants, comme le pense 23
e
 ? Êtes-vous dangereux ?
Êtes-vous intelligents ? Êtes-vous des barbares ? Êtes-vous
nombreux ? Où en est votre technologie ? Savez-vous utiliser des
outils ? Je dois donc vous connaître avant de décider s’il vaut ou non la
peine de sauver quelques-uns des vôtres.

Émission : Tu veux que
chacun de nous trois te raconte sa vie ?

Réception : Ce n’est pas
vous trois que je veux comprendre et juger, mais l’ensemble de votre espèce.

Laetitia et Méliès se dévisagèrent.
Par où commencer ? Allait-on être obligé de raconter à cette fourmi les
civilisations de l’Antiquité, l’époque médiévale, la Renaissance, les Guerres
mondiales ? Arthur, lui, semblait prendre beaucoup de plaisir à cette
discussion.

Émission : Alors, pose-nous
des questions. Nous te répondrons et t’expliquerons notre monde.

Réception : Ce serait trop
facile. Vous présenteriez votre monde sous son meilleur jour, rien que pour
pouvoir sauver vos Doigts prisonniers de notre cité. Trouvez donc un moyen de
m’informer plus objectivement.

Quelle entêtée que cette 103
e
 !
Même Arthur ne savait plus quoi dire pour la convaincre de leur bonne foi.
Quant à Méliès, il enrageait. Se tournant vers Laetitia, il déclara,
furibond :

— Très bien. On va sauver ton
oncle et ses compagnons sans l’aide de cette fourmi prétentieuse. Arthur, vous
avez une carte de la forêt de Fontainebleau ?

Oui, il en possédait une, mais la
forêt de Fontainebleau s’étalait sur dix-sept mille hectares et ce n’étaient
pas les fourmilières qui y manquaient. Où chercher ? Du côté de Barbizon,
sous les rochers d’Apremont, près de la mare Franchard, dans les sables des
hauteurs de la Solle ?

Ils pourraient passer des années à
fouiller. Jamais ils ne découvriraient Bel-o-kan par leurs propres moyens.

— Ce n’est quand même pas une
fourmi qui va nous humilier ! s’énerva Méliès.

Arthur Ramirez plaida en faveur de
leur hôte.

— Tout ce qu’elle veut, avant
de nous introduire dans son nid, c’est mieux nous comprendre. Elle a raison. À
sa place, j’agirais de même.

— Mais comment lui donner une
vision « objective » de notre monde ?

Ils réfléchirent. Encore une
énigme ! Jacques Méliès s’exclama enfin :

— J’ai une idée !

— C’est quoi, ton idée ?
demanda Laetitia, que les initiatives fougueuses du commissaire rendaient toujours
méfiante.

— La télévision. La
té-lé-vi-sion ! Mais oui, avec la télévision, nous nous branchons sur
l’ensemble de l’espèce humaine, nous palpons le pouls de l’humanité tout
entière. La télévision montre tous les aspects de notre civilisation. En regardant
la télévision, notre 103
e
sera à même de juger en son âme et
conscience ce que nous sommes et ce que nous valons.

187. PHÉROMONE

LÉGENDE MYRMÉCÉENNE :
Décryptage autorisé Phéromone mémoire n°123 Thème : Légende
Saliveuse : Reine Chli-pou-ni

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