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Les Doigts semblent avoir tous
des nids de configuration similaire. Ce sont de larges cavernes en roche
increusable. Elles sont en forme de cubes et s’empilent les unes sur les
autres. Ces cavernes sont le plus souvent tièdes. Le plafond est blanc et le
plancher recouvert d’une sorte de gazon coloré. Ils ne viennent que rarement y
vivre.
Elle sort sur le balcon, escalade la
façade en utilisant les puvilis adhésifs de ses pattes et débouche sur un
nouvel appartement semblable aux précédents. Elle entre dans le salon. Là, des
Doigts apparaissent enfin. Elle s’avance. Ils la poursuivent pour la tuer.
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n’a que le temps de
fuir en serrant fort son cocon.
ORIENTATION : La plupart des
grandes épopées humaines ont eu lieu d’est en ouest. De tout temps, l’homme a
suivi la course du soleil, s’interrogeant sur le lieu où s’abîmait la boule de
feu. Ulysse, Christophe Colomb, Attila… tous ont cru qu’à l’ouest était la
solution. Partir vers l’ouest, c’est vouloir connaître le futur. Cependant, si
certains se sont demandé « où » il allait, d’autres ont voulu savoir
« d’où » il venait. Aller vers l’est, c’est vouloir connaître les
origines du soleil mais aussi ses siennes propres. Marco Polo, Napoléon, Bilbo
le Hobbit (un des héros du Seigneur des Anneaux de Tolkien) sont des personnages
de l’Est. Ils ont cru que s’il y avait quelque chose à découvrir, c’était
là-bas, loin derrière, où tout commence y compris les journées. Dans la
symbolique des aventuriers, il reste encore deux directions. En voici la
signification. Aller vers le nord, c’est chercher des obstacles pour mesurer sa
propre force. Aller vers le sud, c’est rechercher le repos et l’apaisement.
Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.
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erre longtemps dans
le monde surnaturel des Doigts en portant son précieux balluchon. Elle visite
de nombreux nids. Parfois ils sont vides, parfois des Doigts la poursuivent
pour la tuer.
Un moment, elle est tentée de
renoncer à la mission Mercure. Ce serait tout de même dommage d’avoir accompli
un si long trajet, produit tant d’efforts pour abandonner maintenant. Il faut
qu’elle trouve des Doigts gentils. Des Doigts amicaux envers les fourmis.
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visite près d’une
centaine d’appartements. Il lui est facile de se nourrir. Quantité d’aliments
traînent partout. Mais, seule dans ces espaces anguleux, elle se sent sur une
autre planète où tout serait géométrique et orné de couleurs
surnaturelles : blanc qui brille, marron mat, bleu électrique, orange vif,
vert-jaune.
Déroutant pays !
Presque plus d’arbres, de plantes,
de sable, d’herbes. Uniquement des objets ou des matériaux lisses et froids.
Presque aucune faune. Seulement
quelques mites qui fuient à son approche, comme si elles redoutaient cette
sauvageonne venue de la forêt.
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se perd dans une serpillière,
se débat dans une boîte de farine, explore des tiroirs aux contenus
surprenants.
Plus aucun repère olfactif ou
visuel. Que des formes mortes, des poudres mortes, des nids vides ou remplis de
monstres.
En toute chose, il faut trouver
le centre,
affirmait Belo-kiu-kiuni. Mais comment
situer un centre parmi cette multitude de nids cubiques qui se superposent ou
se collent les uns aux autres ?
Et elle est seule, si seule, si loin
des siennes !
Nostalgique, elle regrette la
pyramide apaisante de Bel-o-kan, l’activité de ses sœurs, la chaleur douce des
trophallaxies, le parfum séducteur des plantes qui réclament qu’on les
ensemence, l’ombre rassurante des arbres. Comme ils lui manquent, ces rochers
où il fait si bon se gaver d’énergie calorique, ces pistes phéromonales qui se
faufilent entre les herbes !
Et, comme la croisade autrefois, 103
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avance, toujours avance. Ses organes de Johnston sont brouillés par une foule
d’ondes étranges : ondes électriques, ondes radio, ondes lumineuses, ondes
magnétiques. Le monde par-delà le monde n’est qu’un tohu-bohu de fausses
informations.
Elle erre d’un immeuble à l’autre,
au gré d’un tuyau, d’une ligne téléphonique ou d’une corde à linge.
Rien. Aucun signal d’accueil. Les
Doigts ne l’ont pas reconnue.
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est déconcertée.
Lassée, elle en est aux « à
quoi bon ? » et aux « pour quoi faire ? » quand
soudain, elle repère d’insolites phéromones. Une fragrance de fourmi rousse des
bois. Heureuse, elle fonce vers les miraculeux relents. Plus elle galope, plus
elle reconnaît ce drapeau odorant : Giou-li-kan, le nid kidnappé par les
Doigts peu avant le départ de la croisade !
Le parfum délicieux l’attire comme
un aimant.
Oui. Le nid de Giou-li-kan est là,
intact. Avec sa population intacte, elle aussi. Elle voudrait s’entretenir avec
ses sœurs, les toucher, mais entre elles se dresse une paroi dure et
transparente qui empêche tout contact. La Cité est enfermée dans un cube. Elle
grimpe sur le toit. Là, il y a des trous, trop étroits pour se frotter les
antennes, mais suffisants pour émettre au travers.
Les Gioulikaniennes lui disent
comment elles ont été emportées vers ce nid artificiel. Depuis qu’elles y ont
été installées de force, cinq Doigts les étudient. Non, ces Doigts ne sont pas
agressifs. Ils ne tuent pas. Une fois cependant, il s’est produit un événement
insolite. D’autres Doigts, qui ne leur étaient pas familiers ceux-là, les ont
enlevées de nouveau, secouées sans ménagement et beaucoup de Gioulikaniennes
sont mortes à cette occasion.
Mais depuis qu’elles ont été ramenées
ici, elles n’ont plus connu de problèmes. Les cinq Doigts charmants les
nourrissent, veillent sur elles, les protègent.
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jubile. Aurait-elle
enfin atteint ces interlocuteurs qu’elle recherche depuis si longtemps ?
Par odeurs et par gestes, les fourmis
prisonnières du nid artificiel lui indiquent comment rejoindre ces Doigts
« gentils ».
Augusta Wells était dans la ronde
communautaire. Tous poussaient le son OM et il se construisit une bulle
spirituelle où ils allèrent se blottir les uns près des autres.
Là-haut, en suspension irréelle, à
un mètre au-dessus de leurs têtes et à cinquante centimètres sous le plafond,
on n’avait plus faim, on n’avait plus froid, on n’avait plus peur, on
s’oubliait, on n’était juste qu’un peu de vapeur pensante en suspension.
Augusta Wells, pourtant, sortit
précipitamment de la bulle. Elle se rematérialisa dans son corps de chair. Elle
n’était pas assez concentrée. Quelque chose la préoccupait. Une idée parasite.
Elle resta avec son esprit et son ego au sol. L’incident Nicolas lui donnait
matière à réflexion.
Elle se disait que le monde des
humains devait être très impressionnant pour une fourmi. Jamais les fourmis ne
seront capables de comprendre ce qu’est une voiture, ou une machine à café, ou
un composteur de tickets de train. C’est au-delà de leur imagination. Augusta
Wells se dit que la distance entre l’univers fourmi et cet univers humain
incompréhensible est peut-être la même que celle qui sépare l’univers humain
d’une dimension supérieure (divine ?).
Il existe peut-être un Nicolas dans
une dimension espace-temps supérieure. On se demande pourquoi Dieu agit ainsi
mais en fait peut-être est-ce un gosse inconscient qui s’amuse par
désœuvrement !
Quand lui dira-t-on qu’il est
l’heure du goûter et qu’il faut qu’il arrête de jouer avec les humains ?
Augusta Wells était étourdie par
cette idée et en même temps, excitée.
Si les fourmis sont incapables
d’imaginer un composteur de tickets de train, quelles machines, quels concepts
originaux doivent manipuler les jeux de l’espace-temps supérieur ?
Ce n’étaient que réflexions gratuites
et inutiles. Elle se reconcentra et se retrouva dans la bulle douillette des
esprits du groupe.
C’est rempli de bruits, d’odeurs et
de chaleurs. Il y a des Doigts vivants ici, c’est évident.
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se rapproche de la
zone de bruits et des vibrations en essayant de ne pas trop se perdre dans la
jungle de l’épaisse moquette rouge. Son chemin est semé d’obstacles mous. Une
multitude de tissus chamarrés traînent par terre.
La dernière croisée grimpe sur la
veste de Jacques Méliès, puis sur son pantalon, elle poursuit son chemin en
piétinant un tailleur de soie noire, elle avance sur la chemise du commissaire,
plus loin elle monte et descend les montagnes russes formées parle
soutien-gorge de Laetitia Wells. Elle s’avance vers la zone de turbulences.
Face à elle, il y a un pan de
couvre-lit tricoté, elle l’escalade. Plus elle monte, plus ça secoue. Il y a
des parfums de Doigts, des chaleurs de Doigts, des bruits de Doigts, ils sont
là-haut, c’est certain. Elle va enfin les retrouver. Elle décapsule son cocon
de papillon et dégage son trésor. La mission Mercure touche à sa fin. Elle
grimpe au sommet du lit.
Advienne que pourra.
Laetitia Wells ferma ses yeux
mauves, elle ressentait l’énergie yang de son compagnon qui se mêlait à son
énergie yin. Leurs corps liés dansaient en phase. Lorsque Laetitia rouvrit les
yeux, elle sursauta. Pratiquement face à son nez se trouvait une fourmi qui
brandissait entre ses mandibules un petit papier plié menu !
La vision avait de quoi la
déconcentrer. Elle arrêta de bouger, se cabra, se dégagea.
Jacques Méliès fut surpris de cette
brusque interruption.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Il y a une fourmi sur le
lit !
— Elle a dû s’échapper de ton terrarium.
On a eu assez de fourmis pour la journée, chasse-la et reprenons où nous nous
étions arrêtés !
— Non, attends, celle-là n’est
pas comme les autres. Elle a quelque chose d’extraordinaire.
— C’est l’un des robots
d’Arthur Ramirez ?
— Non, c’est une fourmi bien
vivante. Et tu ne me croiras peut-être pas, mais elle a un bout de papier plié
entre ses mandibules et semble vouloir nous le donner !
Le commissaire bougonna mais
consentit à vérifier l’information. Il vit en effet une fourmi qui transportait
un morceau de papier plié.
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distingue devant
elle un vaisseau rempli de Doigts.
D’habitude l’animal doigtier se
décompose en deux troupeaux de cinq Doigts. Or celui-ci doit être un animal
supérieur car il est plus épais et dispose non pas de deux mais de quatre
troupeaux de cinq Doigts. Soit vingt Doigts qui folâtrent à partir d’une
structure racine rose.
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s’avance et tend la
lettre du bout des mandibules en essayant de ne pas se laisser submerger par la
peur naturelle que lui inspirent ces entités extravagantes.
Elle repense à l’épisode de la
bataille contre les Doigts de la forêt et a envie de fuir de toutes ses pattes.
Mais ce serait trop bête de ne pas faire front alors qu’elle est sur le point
de toucher au but.
— Vas-y, essaie de savoir ce qu’elle
tient entre ses mandibules.
Jacques Méliès avança très lentement
sa main vers la fourmi. Il murmura :
— Tu es sûre qu’elle ne va pas
me mordre ou m’asperger d’acide formique ?
— Tu ne vas pas me dire que tu
as peur d’une petite fourmi ? lui chuchota Laetitia à l’oreille.
Les Doigts se rapprochent et la peur
l’envahit. 103
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se remémore les leçons qu’on lui enseignait à
Bel-o-kan lorsqu’elle était petite. Face à un prédateur, on doit oublier qu’il
est le plus fort. Il faut penser à autre chose. Rester calme. Le prédateur
s’attend toujours à ce qu’on fuie devant lui et il a un comportement adapté à
votre fuite. Mais si vous restez là, en face, imperturbable, sans manifester de
crainte, il se décontenance et n’ose pas attaquer.
Les cinq Doigts s’avancent posément
à sa rencontre.
Ils ne semblent pas du tout
décontenancés.
— Surtout, ne l’effarouche
pas ! Attends, ralentis, sinon elle va s’enfuir.
— Je suis certain que si elle
ne bouge pas, c’est parce qu’elle attend que je sois tout près pour me mordre.
Il continua néanmoins à glisser sa
main à vitesse lente mais régulière.
Les Doigts qui s’approchent d’elle
semblent indolents. Pas le moindre signe de comportement hostile. Méfiance. Ce
doit être un traquenard. Mais 103
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se conjure de ne pas s’enfuir.
Ne pas avoir peur. Ne pas avoir
peur. Ne pas avoir peur. Allons, se dit-elle, je suis venue de très loin pour
les rencontrer et voilà que maintenant qu’ils sont là, je n’ai qu’une
envie : prendre mes six pattes à mon cou et me débiner ! Courage, 103
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tu les as déjà affrontés et tu n’en es pas morte.
Ce n’est cependant pas facile de
voir cinq boules roses dix fois plus hautes et plus volumineuses que vous qui
s’avancent et de se dire malgré tout qu’il ne faut surtout pas bouger.