Le Jour des Fourmis (60 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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La jeune femme se pencha vers le
micro et parvint à articuler :

Émission : Alors, tu vas
nous aider ?

Sous sa cloche de verre, 103
e
dressa les antennes et émit, solennelle :

Réception : Nous ne pouvons
pas lutter contre vous et vous ne pouvez pas lutter contre nous. Aucune de nos
espèces n’est assez forte pour éliminer l’autre. Puisque nous ne pouvons pas
nous détruire, nous sommes bien obligés de nous entraider. Et puis, je crois
que nous avons besoin de vous. Nous avons des choses à apprendre de votre monde
et il ne faut surtout pas vous tuer avant de les connaître.

Émission : Tu es donc
d’accord pour nous montrer Bel-o-kan ?

Réception : Je suis d’accord
pour vous aider à sauver vos amis enfermés sous la Cité, parce que je suis
d’accord, maintenant, pour une collaboration entre nos deux civilisations.

C’est à ce moment qu’Arthur Ramirez
s’évanouit une nouvelle fois.

192. LES DINOSAURES

C’est une phéromone mémoire
historique qui a traversé les millénaires.

Chli-pou-ni approche ses antennes de
la capsule remplie de liquides très odorants. Camaïeu de parfums. Aussitôt, le
texte remonte avec volupté dans ses antennes.

Phéromone historique.

Saliveuse : 24
e
reine Belo-kiu-kiuni.

Les fourmis n’ont pas toujours
été les maîtres de la Terre.

Jadis, ce titre a été remis en
cause par d’autres espèces, représentant d’autres manières de penser.

Ainsi, il y a plusieurs millions
d’années, la nature misa sur le lézard. Jusqu’alors, les lézards n’étaient que
des animaux de taille raisonnable, des poissons nantis de pattes.

Cependant, ces sauriens ne cessaient
de se battre en duel. Aussi, leur corps muta peu à peu pour s’adapter aux
combats singuliers. Ils devinrent de plus en plus grands et agressifs.

Il se produisit une évolution
morphologique. Les lézards s’étaient transformés en géants. Nous n’arrivions
plus à les tuer, même en nous regroupant à vingt, à trente ou à cent. Les
lézards étaient maintenant trop forts, si nombreux et si destructeurs qu’ils
étaient devenus la plus grande puissance animale terrienne.

Certains étaient si hauts que
leur tête dépassait la cime des arbres. Ce n’étaient déjà plus des lézards,
c’étaient des dinosaures.

Le règne de ces monstres immenses
dura longtemps et nous, partout, dans nos fourmilières, nous réfléchissions.

Nous avions vaincu les terribles
termites, nous devions être capables de nous débarrasser de ces dinosaures,
émettait-on un peu partout. Pourtant, tous les commandos myrmécéens dépêchés
contre les dinosaures étaient décimés.

Avions-nous trouvé nos
maîtres ? Déjà, certaines fourmilières se résignaient à céder aux
dinosaures le contrôle de leurs territoires de chasse. Elles fuyaient sous
leurs pas, vivaient dans la hantise de leurs odieux duels au cours desquels le
sol tremblait. Les termites eux-mêmes baissaient leurs mandibules.

C’est alors qu’une reine issue d’un
nid de fourmis magnans lança un mot d’ordre : Toutes les cités unies
contre ces monstres.

Le message était simple, l’impact
fut planétaire. Les fourmilières mirent un terme à leurs guerres intestines.
Plus aucune fourmi ne devait tuer une autre fourmi, quelle que soit son espèce
ou sa taille. La Grande Alliance Planétaire était née.

Des messagères circulèrent entre
les cités pour informer chacune des forces et des faiblesses des dinosaures.
Ces bêtes paraissaient sans faille, mais chaque animal présente une faiblesse.
Ainsi l’a voulu la nature. Cette faiblesse, nous devions la découvrir et nous
l’avons découverte. Le défaut de la cuirasse, chez les dinosaures, c’était leur
anus.

Il suffisait de les envahir par
cette porte et de les détruire de l’intérieur. L’information circula très vite.
Partout, les légions des fourmilières s’engouffrèrent dans cette voie sensible.
Cavalerie, infanterie, artillerie n’affrontaient plus griffes, pattes et dents
mais des giclées de sucs digestifs, des globules blancs, des réflexes
musculaires.

Il est des récits terrifiants
concernant des armées qui s’étaient aventurées à petits pas en intestin ennemi.
Les soldates prenaient virage sur virage dans le gros côlon lorsque soudain, du
bout du tunnel, jaillissait un boulet mortel : une crotte.

Les guerrières couraient, se
réfugiaient dans des replis intestinaux. Parfois, le rocher nauséabond restait
bloqué dans un angle. Parfois, il dévalait et pulvérisait l’armée.

Le principal adversaire des
légions myrmécéennes devint l’étron. Combien de milliers de fourmis moururent,
assommées par une avalanche de petits crottins durs ! Combien furent
noyées sous un flot de mélasse boueuse ! Combien de commandos furent
asphyxiés par le gaz d’un seul pet !

La plupart des légions
myrmécéennes parvenaient cependant à percer à temps les tunnels intestinaux.

Alors, sous les assauts des
minuscules, les montagnes de chair saurienne s’effondrèrent les unes après les
autres. Carnivores, herbivores, équipés de queues dentées, de piques, de
pointes, de poisons, d’écailles blindées, aucun ne parvenait à résister à des
millions d’infimes chirurgiennes déterminées. Une simple paire de mandibules
s’avérait beaucoup plus efficace qu’une corne plus grande qu’un arbre.

Il fallut aux fourmis plusieurs
centaines de milliers d’années pour massacrer tous les dinosaures.

Et puis, un printemps, au réveil,
on remarqua que les deux s’étaient dégagés. Il n’y avait plus de dinosaures.
Seuls les lézards de petite taille avaient été épargnés.

Chli-pou-ni dégage ses antennes et arpente
pensivement la Bibliothèque chimique.

Ainsi, la Terre a connu plusieurs
locataires qui, tour à tour, ont voulu jouer les maîtres tout-puissants. Tous
ont connu leur heure de gloire avant que les fourmis ne les ramènent à la
modestie.

Les fourmis sont les seules
véritables propriétaires de la Terre. Chli-pou-ni s’enorgueillit d’appartenir à
cette espèce.

Nous les si petites, nous savons
écraser les gros qui se montrent cruels. Nous les si petites, nous savons
réfléchir et résoudre des problèmes a priori insolubles. Nous les si petites,
nous n’avons aucune leçon à recevoir de montagnes vivantes qui se figurent sans
faille.

La civilisation myrmécéenne est
seule à avoir duré aussi longtemps parce qu’elle a su se débarrasser de toutes
ses concurrentes.

La souveraine regrette de ne pas
avoir étudié les Doigts qui vivent sous la fourmilière. Si elle avait écouté
103
e
, en les observant elle aurait trouvé leur faille et la croisade
aurait connu la gloire au lieu de la déroute.

Peut-être n’est-il pas encore trop
tard ? Peut-être subsiste-t-il quelques Doigts rescapés sous la dalle de
granit ? Elle sait combien les déistes se sont donné du mal pour leur
transmettre de la nourriture.

Chli-pou-ni décide de descendre dans
la Doigtilière pour s’y entretenir avec ce « Docteur Livingstone »
tant vanté par les espionnes.

193. CANCER

103
e
perçoit qu’il se
passe quelque chose d’anormal dans le monde des Doigts. Des ombres s’agitent
là-haut. Il règne dans l’air comme une odeur de mort. Elle interroge :

Réception : Quelque chose ne
va pas ?

Émission : Arthur s’est
évanoui. Il est malade. Il est atteint d’un cancer généralisé. Un mal que nul
ne sait soigner. Ma mère en est morte. Nous sommes sans défense devant cette
affection.

Réception : C’est quoi le
cancer ?

Émission : Une maladie où
les cellules prolifèrent de façon anarchique.

Pour mieux réfléchir, la fourmi lave
soigneusement ses tiges sensitives.

Réception : Nous connaissons
aussi ce phénomène, mais ce n’est pas une maladie. Votre cancer n’est pas une
maladie.

Émission : C’est quoi
alors ?

Pour la première fois, c’est un
humain qui a émis le « c’est quoi ? » qu’a tant répété 103
e
.
Et c’est au tour de la fourmi de fournir des explications.

Réception : Ils y a bien
longtemps, nous aussi avons été frappées par ce que vous appelez le
« cancer ». Beaucoup sont mortes. Pendant plusieurs millions
d’années, nous avons considéré ce fléau comme une calamité inguérissable et
celles qui étaient touchées préféraient quitter immédiatement la vie en
arrêtant les battements de leur cœur. Et puis…

Les trois humains écoutaient avec
surprise.

Réception : Et puis, nous
avons compris que nous envisagions le problème sous un mauvais angle. Il
fallait étudier et comprendre différemment ce qui nous était d’abord apparu
comme une maladie. Nous avons trouvé. Et depuis plus de cent mille ans, dans
notre civilisation, plus personne ne meurt du cancer. Oh ! il nous arrive
d’être victimes de bien d’autres maladies mais chez nous, le cancer, c’est
fini.

Dans sa surprise, Laetitia embua la
cloche de son souffle.

Émission : Vous avez
découvert le remède contre le cancer ?

Réception : Bien sûr, je
vais vous l’indiquer. Mais d’abord, j’ai besoin de prendre un peu l’air. On
étouffe sous cette cloche.

Laetitia déposa soigneusement 103
e
dans une boîte d’allumettes au fond recouvert d’un confortable matelas de
coton. Elle la porta ensuite sur le balcon.

La soldate huma la fraîcheur de la
brise. D’ici, elle percevait même les lointains effluves de la forêt.

— Attention, ne la mets pas sur
la balustrade, s’exclama Jacques Méliès. Il ne faut surtout pas qu’elle tombe.
Cette fourmi est un vrai trésor. Elle accepte de sauver des vies humaines et,
en plus, elle dit connaître le remède du cancer. Si c’est vrai…

De leurs mains jointes, ils
formèrent un berceau autour de la boîte. Bientôt, M
me
Ramirez les
rejoignit. Elle avait aidé son mari à se mettre au lit. Il dormait maintenant.

— Notre fourmi assure connaître
le remède contre le cancer, lui annonça Méliès.

— Alors, il faut la faire
parler, et vite ! Arthur n’a plus guère de temps devant lui.

— Attendez juste quelques
minutes, dit Laetitia. Elle a déclaré vouloir respirer un peu. Il faut la
comprendre, elle vient de passer plusieurs jours enfermée sous une cloche à
regarder la télévision sans discontinuer. Aucune bête au monde ne pourrait
supporter ça !

Mais déjà la femme perdait son
calme.

— Elle se reposera plus tard.
Il faut d’abord sauver mon mari. C’est urgent.

Juliette Ramirez se précipita sur le
bras de Laetitia. La jeune femme recula pour l’empêcher de lui arracher la
boîte. Un instant, l’esquif de bois resta suspendu dans le vide. M
me
Ramirez tira sur le poignet de Laetitia et cela suffit pour qu’il se renverse.

Elle chute. Un instant, 103
e
plane sur son moelleux tapis volant. Puis elle tombe, elle tombe, elle n’en
finit pas de tomber. C’est haut, un nid de Doigts !

Elle s’affole quand elle percute le
toit métallique d’une voiture et rebondit plusieurs fois. Elle court en tous
sens. Où sont passés les Doigts « gentils » et leur machine à
communiquer ? Elle fonce en criant des phéromones que plus personne n’est
là pour déchiffrer.

Laetitia, Juliette, Arthur,
Jacques ! Où êtes-vous ?

J’ai suffisamment respiré comme
ça. Remontez-moi, que je vous raconte tout !

La voiture sur laquelle elle a atterri
démarre. 103
e
s’accroche de toutes ses pattes à une antenne radio.
Le vent siffle tout autour d’elle. Jamais, même lorsqu’elle volait sur
« Grande Corne », elle n’est allée aussi vite.

194. ENCYCLOPÉDIE

CHOC ENTRE CIVILISATIONS :
L’Inde est un pays qui absorbe toutes les énergies. Tous les chefs militaires
qui ont tenté de la mettre au pas s’y sont épuisés. Au fur et à mesure qu’ils
s’enfonçaient à l’intérieur du pays, l’Inde déteignait sur eux, ils perdaient
de leur pugnacité et s’éprenaient des raffinements de la culture indienne.
L’Inde est comme une éponge molle qui retient tout. Ils sont venus, l’Inde les
a vaincus. La première invasion d’importance fut le fait des musulmans
turco-afghans. En 1206, ils prirent Delhi. Cinq dynasties de sultans
s’ensuivirent qui toutes tentèrent de s’emparer de la péninsule indienne dans
sa totalité. Mais les troupes se diluaient en s’avançant vers le sud Les
soldats se lassaient de massacrer, perdaient le goût du combat et se laissaient
charmer par les coutumes indiennes. Les sultans sombrèrent dans la décadence.

La dernière dynastie, celle des
Lodi, fut renversée par Babur, roi d’origine mongole, descendant de Tamerlan.
Il fonde en 1527 l’empire des Moghols et, à peine arrivé au centre de l’Inde,
renonce aux armes et s’enthousiasme pour la peinture, la littérature et la
musique.

L’un de ses descendants, Akbar,
sut, lui, unifier l’Inde. Il usa de la douceur et inventa une religion, en
puisant dans toutes les religions de son temps et en réunissant tout ce
qu’elles contenaient de plus pacifique. Quelques dizaines d’années plus tard
cependant, Aurangzeb, autre descendant de Babur, tenta d’imposer par la force
l’islam à la péninsule. L’Inde se révolta et éclata. Il est impossible de
dompter ce continent par la violence.

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