Le Jour des Fourmis (13 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Personne ne devait plus s’approcher
d’un feu. Si la foudre tombait sur un arbre, ordre était de s’en éloigner. Si
des brindilles sèches commençaient à s’embraser, il était du devoir de chacun
de s’efforcer de les éteindre. Les instructions franchirent les océans. Toutes
les fourmis de la planète, tous, les insectes surent bientôt qu’ils devaient
fuir le feu et, surtout, ne pas chercher à en devenir les maîtres.

Il ne resta que quelques espèces de
moucherons et de papillons pour foncer encore dans les flammes. Mais eux,
c’était parce qu’ils étaient drogués à la lumière.

Les autres appliquèrent
rigoureusement les consignes. Si un nid ou un individu se mêlait d’user du feu
pour la guerre, tous les autres, de toutes espèces, petites et grandes, se
liguaient immédiatement pour l’écraser.

Chli-pou-ni reposa la phéromone
mémoire.

Les Doigts ont utilisé l’arme
interdite et l’utilisent encore dans tout ce qu’ils entreprennent. La
civilisation des Doigts est une civilisation du feu. Nous devons donc la
détruire avant qu’ils ne mettent le feu à toute la forêt.

La reine dégage une odeur de
conviction farouche.

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demeure
perplexe. Selon Chli-pou-ni elle-même, les Doigts constituent un épiphénomène.
Des locataires temporaires de la surface du sol. Et des locataires éphémères,
sûrement. Ils ne sont là que depuis trois millions d’années et ils n’y
demeureront sans doute plus très longtemps encore.

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se lave les
antennes.

Normalement, les fourmis laissent
les espèces se succéder sur la croûte terrestre, vivre et mourir sans s’en
préoccuper. Alors, pourquoi cette croisade ?

Chli-pou-ni insiste :

Ils sont trop dangereux. Nous ne
pouvons pas attendre qu’ils disparaissent d’eux-mêmes.

103 683
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remarque :

Il paraît qu’il y a des Doigts
vivant sous la Cité.

Si Chli-pou-ni veut s’en prendre aux
Doigts, pourquoi ne commence-t-elle pas par ceux-ci ?

La reine s’étonne que la soldate
soit informée du secret. Puis elle se justifie. Les Doigts, là-bas, en dessous,
ne sont pas une menace. Ils ignorent comment sortir de leur trou. Ils sont
coincés. Il suffit de les laisser mourir de faim et le problème se réglera de
lui-même. Ils ne sont peut-être déjà plus que des cadavres à l’heure qu’il est.

Ce serait dommage.

La reine lève ses antennes.

Pourquoi ? Tu aimes les
Doigts ? Ton voyage au bord du monde t’a permis de communiquer avec
eux ?

La soldate fait front.

Non. Mais ce serait dommage pour
la zoologie car nous ignorons les mœurs et la morphologie de ces animaux
géants. Et ce serait dommage pour la croisade car nous partirions au bout du
monde en ne sachant qu’à peine ce que sont nos adversaires.

La reine est troublée. La soldate
pousse son avantage.

Quelle aubaine pourtant !
Nous disposons d’un nid de Doigts à domicile, à notre entière disposition.
Alors, pourquoi ne pas en profiter ?

Chli-pou-ni n’y avait pas pensé.
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a raison. C’est vrai, ces Doigts sont ses prisonniers,
somme toute, exactement comme les acariens qu’elle étudie dans sa salle de
zoologie. Coincés dans leur coquille de noisette, les acariens lui sont un
vivarium de l’infiniment petit. Coincés dans leur caverne, les Doigts lui en
offrent un de l’infiniment grand…

Un instant, la reine est tentée
d’écouter la soldate, de gérer froidement sa « Doigtilière », de
sauver les derniers Doigts s’il en vit encore, et même de renouer
éventuellement le dialogue avec eux. Pour la science.

Et pourquoi ne pas les
apprivoiser ? les transformer en montures géantes ? Il lui serait
sans doute possible d’obtenir leur soumission contre de la nourriture.

Mais soudain, c’est l’imprévu.

Surgie de nulle part, une fourmi
kamikaze se jette sur Chli-pou-ni et entreprend de la décapiter. 103 683
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reconnaît dans la régicide une rebelle de l’étable à scarabées. Bondissant,
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abat l’audacieuse d’un coup de mandibule sabre avant
qu’elle n’ait réussi son crime.

La reine est demeurée impassible.

Vois ce dont sont capables les
Doigts ! Ils ont transformé les fourmis aux odeurs de roche en fanatiques
prêtes à assassiner leur propre souveraine. Tu vois, 103 683
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,
on ne doit pas leur parler. Les Doigts ne sont pas des animaux comme les
autres. Ils sont trop dangereux. Même leurs mots peuvent nous tuer.

Chli-pou-ni précise qu’elle est au
courant de l’existence d’un mouvement rebelle dont les membres continuent de
converser avec les Doigts qui agonisent sous le plancher. C’est d’ailleurs
ainsi qu’elle les étudie. Des espionnes à sa dévotion se sont infiltrées dans
le mouvement rebelle et la tiennent informée de tout ce qui s’émet depuis la
Doigtilière. Chli-pou-ni sait que 103 683
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est entrée en
contact avec les rebelles. Elle considère que c’est une bonne chose. Ainsi, la
soldate pourra, elle aussi, lui apporter son concours.

Au sol, la rebelle régicide
rassemble ses dernières forces pour émettre un ultime :

Les Doigts sont nos dieux.

Et puis, plus rien. Elle est morte.
La reine renifle le cadavre.

Que signifie le mot
« dieux » ?
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e
se
le demande aussi. La reine arpente la loge royale, répétant et répétant encore
qu’il est de plus en plus urgent de tuer les Doigts. De les exterminer. Tous.
Elle compte sur sa soldate expérimentée pour réaliser cette tâche capitale.

Très bien. 103 683
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a
besoin de deux jours pour rassembler ses troupes. Ensuite, en avant. Sus à tous
les Doigts du monde !

30. MESSAGE DIVIN

Augmentez vos offrandes, Risquez
vos vies, sacrifiez-vous, Les Doigts sont plus importants que la reine ou le
couvain.

N’oubliez jamais que

Les Doigts sont omniprésents et
omnipotents.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont des dieux.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont grands.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont puissants.

Telle est la vérité !

L’auteur de ce message quitta vite la
machine avant que les autres ne l’y découvrent.

31. SECOND COUP

Caroline Nogard n’aimait pas les
repas de famille. Elle avait hâte que celui-ci s’achève afin de pouvoir
tranquillement reprendre son « œuvre ».

Autour d’elle, ça gesticulait, ça
jacassait, ça se passait les plats, ça mastiquait, ça se disputait sur des
problèmes dont elle se moquait éperdument.

— Quelle chaleur ! dit sa
mère.

— À la télé, le type de la
météo a annoncé que la canicule ne faisait que commencer. Il paraît que c’est à
cause de la pollution de la fin du
XX
e
siècle, compléta son
père.

— C’est la faute à Papy. À son
époque, dans les années 90, ils polluaient sans retenue. On devrait traîner
toute sa génération devant les tribunaux, osa sa petite sœur.

Ils n’étaient que quatre à table,
mais les trois autres suffisaient à excéder Caroline Nogard.

— Nous allons au cinéma, tout à
l’heure. Tu veux venir, Caro ? proposa sa mère.

— Non merci, Maman ! J’ai
du travail à la maison.

— À huit heures du soir ?

— Oui. Et du travail important.

— À ta guise. Si tu préfères
rester seule à t’activer à des heures indues plutôt que de te distraire avec
nous, c’est ton droit le plus strict…

Elle n’en pouvait plus d’impatience
quand, enfin, elle referma la porte à double tour derrière eux. Vite, elle
courut chercher la valise, en sortit la sphère de verre pleine de granulés,
déversa son contenu dans un bassin métallique qu’elle mit à chauffer sur un bec
Bunsen.

Elle obtint ainsi une purée brune.
Un souffle d’air s’en dégagea, successivement remplacé par une fumée grise, une
flamme d’abord brouillée par la fumée, enfin une belle flamme, claire et pure.

Le procédé était sans doute un peu
archaïque mais il n’en existait pas d’autre à ce stade. Elle examinait son
œuvre avec satisfaction quand la sonnette retentit.

Elle ouvrit à un homme barbu, au
poil très roux. Presque rouge. Maximilien MacHarious intima l’ordre de se
coucher aux deux grands lévriers dont il tenait les laisses argentées et
interrogea, avant même de dire bonjour :

— C’est prêt ?

— Oui, j’ai terminé les
dernières opérations à la maison, mais les principaux traitements ont été
effectués au labo.

— Parfait. Il n’y a pas eu de
problème ?

— Pas le moindre.

— Personne n’est au
courant ?

— Personne.

Elle versa la substance chaude
devenue ocre dans une épaisse bouteille et la lui tendit.

— Je m’occupe de tout. Vous
pouvez vous reposer maintenant, dit-il.

— Au revoir.

Sur un signe de connivence, il
disparut dans l’ascenseur avec ses deux lévriers.

De nouveau seule, Caroline Nogard se
sentit soulagée d’un grand poids. Maintenant, songea-t-elle, plus rien ne
pourrait les arrêter. Ils réussiraient là où tant d’autres avaient échoué.

Elle se servit une bière fraîche
qu’elle dégusta lentement. Elle retira ensuite sa blouse de travail pour
enfiler un peignoir rose. Sur l’une des manches, elle remarqua un minuscule
accroc de forme carrée. Il ne lui faudrait pas longtemps pour le repriser. Elle
prit du fil et une aiguille et s’installa devant son téléviseur.

C’était l’heure de « Piège à
réflexion ». Caroline Nogard brancha son récepteur.

Télévision.

Mme Ramirez était toujours là, avec
ses allures de Française moyenne et sa timidité si authentique lorsqu’elle
énonçait ses solutions ou les processus de logique qui y avaient présidé.
L’animateur, lui, faisait son numéro habituel :

— Comment ça, vous n’avez pas
trouvé ? Examinez bien ce tableau et dites aux téléspectatrices et aux
téléspectateurs à quoi vous fait penser cette suite de chiffres.

— Eh bien, vous savez, le
problème est vraiment singulier. Il s’agit d’une progression triangulaire qui
part de l’unité simple pour se diriger vers quelque chose de beaucoup plus
complexe.

— Bravo, madame Ramirez !
Poursuivez dans cette voie et vous trouverez !

— Il y a ce chiffre
« un », au début. On dirait… on dirait presque…

— Les téléspectatrices et les
téléspectateurs vous écoutent, madame Ramirez ! Et le public va vous
encourager.

Applaudissements nourris.

— Allez-y, madame
Ramirez ! On dirait presque quoi ?

— Un texte sacré. Le 1 se
divise pour donner deux chiffres, lesquels donnent eux-mêmes quatre chiffres.
C’est un peu…

— C’est un peu ?

— Comme le prélude à une
naissance. L’œuf originel se divise d’abord en deux, puis en quatre, puis il se
complexifie encore. Intuitivement, ce tableau me fait penser à une naissance, à
un être qui apparaît puis se déploie. C’est assez métaphysique.

— Exact, madame Ramirez, exact.
Quelle superbe énigme nous vous avons confiée ! Digne de votre
perspicacité et des ovations du public.

Applaudissements.

L’animateur alimenta le
suspense :

— Et quelle loi régit cette
progression ? Quelle est la mécanique de cette naissance, madame
Ramirez ?

Mine dépitée de la candidate.

— Je ne trouve pas… Euh,
j’utilise mon joker.

Un murmure de déception parcourut la
salle. C’était la première fois que M
me
Ramirez tombait en panne.

— Êtes-vous bien sure, madame
Ramirez, de vouloir griller l’un de vos jokers ?

— Comment faire
autrement !

— Quel dommage, madame Ramirez,
après un si beau parcours sans faute…

— Cette énigme est assez
spéciale. Elle vaut la peine qu’on s’y attarde. Joker, donc, pour que vous
m’aidiez.

— Très bien. Nous vous avions
donné une première phrase : « Plus on est intelligent, moins on a de
chances de trouver. » La seconde est : « Ils faut désapprendre
tout ce que l’on sait. »

Air dépité de la candidate.

— Et ça signifie quoi ?

— Ah ! à vous de le
découvrir, madame Ramirez. Pour vous aider, je vous dirai que comme pour une
psychanalyse, il vous faut opérer un demi-tour à l’intérieur de votre esprit.
Simplifiez. Remplacez par du vide les mécanismes de logique et de réflexion
préconçus.

— Pas facile. Vous me demandez
d’éliminer de la réflexion par de la réflexion !

— Ah ! C’est bien pour
cela que notre émission s’appelle « Piège à…

— … réflexion » !
reprit la salle en chœur.

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