Le Jour des Fourmis (23 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Puis, toujours sans regarder son
papier, il ajouta :

 

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— Je rappelle les phrases
clefs. La première était : « Plus on est intelligent, moins on a de
chances de trouver. » La deuxième était : « Ils faut
désapprendre ce que l’on sait. » J’en livre une troisième à votre sagacité :
« Comme l’univers, cette énigme prend sa source dans la simplicité
absolue. »

Applaudissements.

— Puis-je vous donner un
conseil, madame Ramirez ? demanda l’animateur, de nouveau enjoué.

— Je vous en prie, dit la
candidate.

— Je crois, madame Ramirez, que
vous n’êtes pas assez simple, pas assez sotte, en somme pas assez vide. Votre
intelligence vous fait des crocs-en-jambe. Faites marche arrière dans vos
cellules, retrouvez la petite fille naïve qui est encore en vous. Et quant à
mes chers téléspectatrices et téléspectateurs, je leur dis : à demain, si
vous le voulez bien !

Laetitia Wells éteignit le poste.

— Cette émission devient de
plus en plus amusante, dit-elle.

— Vous avez trouvé la solution
de l’énigme ?

— Non, et vous ?

— Non plus. Nous devons être
trop intelligents, si vous voulez mon avis. Cet animateur a sans doute raison.

Pour Méliès, c’était l’heure de
partir. Il rangea les fioles dans ses larges poches.

Sur le seuil, il demanda
encore :

— Pourquoi ne pas nous
entraider au lieu de nous fatiguer chacun de notre côté ?

— Parce que j’ai l’habitude de
fonctionner seule et parce que police et presse ne font jamais bon ménage.

— Pas d’exception ?

Elle secoua sa courte chevelure
d’ébène.

— Pas d’exception. Allez,
commissaire, et que le meilleur gagne !

— Puisque vous le voulez ainsi,
que le meilleur gagne !

Il disparut dans l’escalier.

60. DÉPART DE LA CROISADE

La pluie, épuisée, bat en retraite.
Elle recule sur tous les fronts. Elle aussi a son prédateur. Il se nomme
Soleil. L’antique allié de la civilisation myrmécéenne s’est fait attendre mais
il est arrivé quand même à temps. Il a vite recollé les plaies béantes du ciel.
L’océan supérieur ne coule plus sur le monde.

Les Belokaniennes rescapées du
désastre sortent pour se sécher et se réchauffer. Une pluie, c’est comme une
hibernation où le froid serait remplacé par le mouillé. C’est pire. Le froid
endort, mais le mouillé tue !

Dehors, on félicite l’astre
vainqueur. Certaines entonnent le vieil hymne de gloire :

Soleil, entre dans nos carcasses
creuses, Remue nos muscles endoloris Et unis nos pensées divisées.

Partout dans la Cité, on reprend
cette chanson odorante. Bel-o-kan n’en a pas moins pris une sacrée raclée. Le
peu qui reste du dôme, criblé d’impacts de grêlons, vomit des petits jets d’une
eau claire piquée de grumeaux noirs : les cadavres des noyés.

Les nouvelles qui arrivent des
autres cités ne sont pas plus brillantes. Il aurait donc suffi, d’une averse
pour réduire l’orgueilleuse fédération des fourmis rousses de la forêt ?
d’une simple pluie pour venir à bout d’un empire ?

Les ruines du dôme découvrent un
solarium où les cocons ne sont plus que des granulés moites dans une soupe
boueuse. Et combien de nourrices ont trouvé la mort en voulant protéger les
couvains entre leurs pattes ? Certaines sont parvenues à sauver les leurs
en les gardant brandis à bout de pattes au-dessus de leur tête.

Les rares survivantes, parmi les
fourmis concierges, se désincrustent des issues de la Cité interdite. Effarées,
elles contemplent l’ampleur de la catastrophe. Chli-pou-ni elle-même est stupéfaite
de l’étendue des dégâts.

Que peut-on bâtir de solide dans de
telles conditions ? À quoi sert l’intelligence si un peu d’eau suffit à
ramener le monde aux premiers jours de la civilisation fourmi ?

103 683
e
et les
rebelles quittent elles aussi leur abri. La soldate va aussitôt vers sa reine.

Après ce qui est arrivé, nous
allons devoir renoncer à notre croisade contre les Doigts.

Chli-pou-ni s’immobilise, soupèse la
phéromone. Puis elle bouge calmement les antennes, répond que non, que la
croisade compte au nombre des projets majeurs que rien ne saurait remettre en
cause. Elle ajoute que ses troupes d’élite, cantonnées à l’intérieur de la
souche de la Cité interdite, sont intactes et que des scarabées rhinocéros ont
pareillement été tenus en réserve.

Nous devons tuer les Doigts et
nous le ferons.

Différence de taille
cependant : au lieu de quatre-vingt mille soldates, 103 683
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n’en disposera plus que de… trois mille. Des effectifs réduits, certes, mais
très chevronnés et bien aguerris. De même, au lieu des quatre escadrilles de
coléoptères volants initialement prévues, il n’y en aura plus qu’une, forte de
trente unités, ce qui est mieux que rien.

103 683
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en convient
et ramène les antennes en arrière en signe d’assentiment. Elle n’en demeure pas
moins pessimiste sur le sort qui attend la maigre expédition.

Là-dessus, Chli-pou-ni se retire et
poursuit son inspection. Certains barrages ont tenu et ont permis de sauver des
quartiers entiers. Mais les pertes sont énormes et ce sont surtout les cocons
et la génération suivante qui ont été décimés. Chli-pou-ni décide d’augmenter
son rythme de ponte afin de repeupler au plus vite sa cité. Elle dispose encore
de millions de spermatozoïdes frais dans sa spermathèque.

Et puisqu’il faut pondre, elle
pondra.

Partout dans Bel-o-kan, on répare,
on nourrit, on soigne, on analyse les dégâts, on cherche des solutions.

Les fourmis ne s’avouent pas vaincues
aussi facilement.

61. JUS DE
ROCHE

Le P
r
Maximilien
MacHarious examinait le contenu de l’éprouvette dans sa chambre de l’hôtel
Bellevue. La substance que lui avait remise Caroline Nogard s’était muée en un
liquide noir, semblable à du jus de roche.

La sonnette tinta. Les deux
visiteurs étaient attendus. Il s’agissait d’un couple de savants éthiopiens,
Gilles et Suzanne Odergin.

— Tout va bien ? demanda
l’homme d’emblée.

— Tout suit parfaitement le
programme établi, répondit calmement le P
r
MacHarious.

— En êtes-vous sûr ? Le
téléphone des frères Salta ne répond plus.

— Bah ! Ils sont sans
doute partis en vacances.

— Caroline Nogard ne répond pas
davantage.

— Ils ont tous travaillé si
dur ! Il est normal qu’ils puissent à présent souhaiter prendre un peu de
repos.

— Un peu de repos ?
ironisa Suzanne Odergin.

Elle ouvrit son sac à main et
brandit plusieurs coupures de journaux relatant la mort des frères Salta et de
Caroline Nogard.

— Vous ne lisez donc jamais la
presse, professeur MacHarious ? Les magazines qualifient déjà ces affaires
de « thriller de l’été » ! Et c’est ce que vous appelez suivre
le programme établi ?

Le professeur roux ne parut pas
troublé par ces nouvelles.

— Que voulez-vous ? On ne
fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Les Éthiopiens étaient nettement
plus inquiets.

— Espérons seulement que
l’« omelette » sera cuite avant que tous les œufs ne soient gâchés !

MacHarious sourit. Il leur indiqua
l’éprouvette sur la paillasse.

— La voici, notre
« omelette ».

Ensemble, ils admirèrent le fluide
noir aux doux reflets bleutés. Le P
r
Odergin rangea avec mille
précautions le précieux flacon dans une poche
intérieure
de sa veste.

— J’ignore ce qui se passe,
MacHarious, mais soyez quand même prudent.

— Ne vous inquiétez pas. Mes
deux lévriers me protègent.

— Vos lévriers ! s’exclama
l’épouse. Ils n’ont même pas aboyé quand nous sommes arrivés. Drôles de
cerbères !

— C’est qu’ils ne sont pas là,
ce soir. Le vétérinaire les a gardés pour un examen. Mais demain, ils seront là
pour veiller sur moi, mes gardiens fidèles.

Les Éthiopiens se retirèrent. Le P
r
MacHarious, épuisé, se coucha.

62. LES REBELLES

Les rebelles rescapées sont réunies
sous une fleur de fraisier, dans la banlieue de Bel-o-kan. Son parfum fruité
assurera le brouillage des conversations au cas où une antenne importune
viendrait à traîner par là. 103 683
e
s’est jointe au groupe.
Elle demande ce qu’elles comptent faire à présent, amoindries comme elles le
sont.

Leur doyenne, une non-déiste,
répond :

Nous sommes peu, mais nous ne
voulons pas laisser mourir les Doigts. Nous travaillerons encore plus pour les
nourrir.

Les antennes se lèvent les unes
après les autres pour exprimer leur approbation. Le déluge n’a pas dilué leur
détermination.

Une déiste se tourne vers
103 683
e
et lui désigne le cocon à papillon :

Toi, il te faut partir. À cause
de ça. Va au bout du monde avec cette croisade. Il le faut pour la mission
Mercure.

Essaie de ramener un couple de
Doigts, demande une autre, nous les soignerons pour voir s’ils peuvent se
reproduire en captivité.

24
e
, la benjamine du
groupe, demande à partir avec 103 683. Elle veut voir les Doigts, les
humer, les toucher. Le Docteur Livingstone ne lui suffit pas. Il n’est qu’un
interprète. Elle souhaite un contact direct avec les dieux, même si c’est pour
assister à leur destruction. Elle insiste, elle peut être utile à 103 683
e
,
par exemple en se chargeant du cocon pendant les batailles.

Les autres rebelles s’étonnent de
cette candidature.

Pourquoi, qu’est-ce qu’elle a de
spécial, cette fourmi ? demande 103 683
e
.

La jeune asexuée ne les laisse pas
répondre et elle insiste pour accompagner la soldate dans sa nouvelle odyssée.

103 683
e
accepte
cette aide sans poser d’autres questions. Elle se sent juste des affinités
odorantes qui l’informent qu’il n’y a rien de vraiment mauvais chez cette 24
e
fourmi. Elle aura bien l’occasion de découvrir pendant le voyage cette
« tare » qui la fait moquer de ses compagnes.

Mais voici qu’une seconde rebelle
réclame elle aussi de faire partie du voyage. Il s’agit de la sœur aînée de 24
e
 :
23
e
.

103 683
e
la flaire
et opine de nouveau. Ces volontaires seront pour elle des alliées bienvenues.

La croisade prendra le départ demain
matin, au premier soleil. Les deux sœurs n’auront qu’à l’attendre ici.

63. VIE ET MORT DE MACHARIOUS

Le P
r
Maximilien
MacHarious en était certain, il avait bien entendu un bruit, là, au fond de son
lit. Quelque chose l’avait tiré de son sommeil et maintenant il restait là,
immobile, les nerfs tendus. Il finit par allumer sa lampe de chevet et se
décida à se lever. Aucun doute, la couverture était secouée par des minuscules
trépidations.

Un scientifique de son envergure
n’allait quand même pas se laisser intimider. À quatre pattes, tête la
première, il replongea sous ses draps. Il sourit d’abord, mi-amusé,
mi-intrigué, en découvrant ce qui avait provoqué ces mouvements. Mais quand ça
lui fonça dessus, coincé comme il l’était dans sa caverne de textiles, il n’eut
pas même le temps de se protéger le visage.

Si quelqu’un s’était trouvé dans la
chambre à ce moment-là, il aurait vu la surface du lit animée comme par une
nuit d’amour.

Mais ce n’était pas une nuit d’amour.
C’était une nuit de mort.

64. ENCYCLOPÉDIE

MUTATION : Lorsque les
Chinois annexèrent le Tibet, ils y installèrent des familles chinoises pour
prouver que ce pays était aussi peuplé de Chinois. Mais au Tibet, la pression
atmosphérique est difficile à supporter. Elle provoque des vertiges et des
œdèmes chez ceux qui n’y sont pas habitués. Et par on ne sait quel mystère
physiologique, les femmes chinoises s’avérèrent incapables d’accoucher ici
tandis que des femmes tibétaines donnaient le jour sans problème dans les
villages les plus élevés. Tout se passait comme si la terre tibétaine rejetait
les envahisseurs organiquement impropres à vivre sur elle.

Edmond Wells,

Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.

65. LA LONGUE MARCHE

Dès l’aube, les soldates commencent à
se masser près de ce qui fut la porte est numéro 2 et n’est plus qu’un tas
de brindilles défoncées et humides. Celles qui ont froid se livrent à des
petits exercices d’étirement des pattes pour les dégourdir et s’échauffer.
D’autres aiguisent leurs mandibules ou miment des figures et des feintes de
combat.

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