Le Jour des Fourmis (43 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Tant de sectarisme choqua les
populations nippones. Elles torturèrent et massacrèrent la plupart des
jésuites. Puis, lors de la révolte de Shimabara, ce fut au tour des Japonais
déjà convertis au christianisme d’être exterminés. Dès lors, les Nippons se
coupèrent de toute intrusion occidentale. Seuls furent tolérés des commerçants
hollandais, isolés sur une île au large de la côte. Et longtemps, ces
négociants furent privés du droit de fouler du pied l’archipel même.

Edmond Wells,

Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.

138. AU NOM DE NOS ENFANTS

La reine termite tourne ses antennes
avec perplexité. Puis soudain elle s’arrête et fait front aux fourmis qui ont
investi sa loge.

Je vais vous aider, dit-elle. Je
vais vous aider non pas parce que vous me tenez sous la menace de vos jets
d’acide formique, mais parce que les Doigts sont aussi nos ennemis.

Les Doigts, explique-t-elle, ne
respectent rien ni personne. Ils brandissent de longues perches munies d’un fil
de soie avec, au bout, des bébés mouches, des asticots empalés et soumis à un
supplice horrible. Les Doigts les enfoncent et les soulèvent jusqu’à ce que des
poissons charitables consentent à les achever.

Pour garnir leurs fils de soie, les
Doigts ont osé aller plus loin encore. Un de leurs groupes s’en est pris à
Moxiluxun, sa propre ville. Ils ont enfoncé les couloirs, saccagé les greniers,
écrasé la loge royale. Et que cherchaient ces barbares ? Les nymphes. Ils
s’en sont emparés et les ont kidnappées.

Les termites croyaient leurs enfants
définitivement perdus quand des chasseurs en ont aperçu qui se débattaient au
bout d’une perche, hurlant des phéromones d’appel au secours.

Comme les sauver ? En réclamant
l’aide des dytiques. Ces coléoptères aquatiques serviraient de bateaux aux
termites.
De bateaux ?

La reine explique : les fourmis
ont su dompter des rhinocéros afin d’en user comme de montures volantes ;
les termites, eux, ont apprivoisé les dytiques afin qu’ils les propulsent sur
l’eau. Il leur suffisait de s’installer sur une feuille de myosotis, puis de se
faire pousser par eux. Évidemment, l’affaire n’a pas été simple. Au début, les
grenouilles mettaient en pièces la plupart des esquifs.

Tout le milieu aquatique fut hostile
aux termites jusqu’à ce qu’ils apprennent à tirer de la colle au museau des
grenouilles ou à se lancer à l’abordage de gros poissons qu’ils perforaient de
leurs mandibules.

Malheureusement, les navires
termites ne parvinrent jamais à sauver les nymphes. Les Doigts les enfonçaient
sous l’eau avant qu’ils aient eu le temps de les rejoindre. L’opération leur
permit néanmoins de développer leurs techniques de navigation et de prendre le
contrôle de la surface du fleuve.

Vous avez raison, clame la reine de
Moxiluxun, cela ne peut pas durer. Il est temps de nous unir pour ramener à la
raison ces Doigts qui détruisent nos cités, utilisent le feu et torturent nos
enfants.

Et au nom de l’antique alliance
contre les utilisateurs de feu, la reine offre à la croisade quatre légions de
nasutitermes, deux légions de cubitermes et deux légions de schédorhinotermes,
toutes sous-castes termites dont la morphologie s’est adaptée à différentes
formes de combats.

Oublions la haine séculaire entre
fourmis et termites. Il faut avant tout mettre un terme aux exactions de ces
monstres.

Pour accélérer la croisade, la
souveraine propose sa flotte pour traverser le fleuve. Moxiluxun y a créé son
propre port, sur une baie abritée des vents prolongée d’une plage de sable fin.

Les fourmis se rendent sur la grève.
De longues feuilles de myosotis traînent un peu partout. Certaines supportent
des vivres termites et attendent d’être déchargées. D’autres sont vides et
prêtes à partir pour de nouvelles contrées. Les termites ont érigé une rade
artificielle en cellulose pour protéger leurs esquifs. Ils ont même planté des
petits roseaux sur une digue pour mieux isoler leur port des vents et des
vagues.

Qu’y a-t-il sur l’île, en
face ? s’enquiert 103
e
.

Rien. Seulement ce jeune acacia
cornigera que les termites n’ont pas mangé car ils n’apprécient pas ce genre de
cellulose. Sinon, l’île leur sert parfois d’abri quand la tempête se lève.

103
e
, 24
e
et
son cocon s’installent sur l’une des feuilles de myosotis, à la surface
recouverte d’un duvet transparent. Des fourmis et des termites les rejoignent.
Certains poussent le navire jusqu’à l’eau puis y sautent prestement en évitant
de se mouiller les pattes.

Un Moxiluxien trempe ses antennes
dans l’eau, lâche une phéromone et deux formes s’approchent. Ce sont des
dytiques, amis de la Cité termite. Les dytiques sont des coléoptères qui
respirent sous l’eau en emprisonnant une bulle d’air entre leurs élytres. Grâce
à cette bouteille d’oxygène ils peuvent rester très longtemps sous l’eau. Leurs
pattes antérieures sont équipées de ventouses qui servent d’ordinaire à
l’accouplement mais qu’ici, ils fixent sous la feuille pour la propulser.

Au signal chimique lâché dans l’onde,
les dytiques se mettent à brasser l’eau de leurs longues pattes postérieures,
et peu à peu les nefs termites s’engagent sur le fleuve. Et la croisade avance,
toujours avance.

139. COMMUNION

Augusta Wells et ses compagnons de
vie souterraine avaient reformé le cercle pour une nouvelle séance de
communion. L’un après l’autre, ils émirent un son avant de se rejoindre sur OM,
la tonalité unique. Ils le laissèrent résonner jusqu’à ce qu’il s’estompe de
leurs poumons pour vibrer dans leurs crânes.

Puis ce fut le silence, troublé
seulement par leurs respirations ralenties.

Chaque séance était différente.
Cette fois, tous avaient été pénétrés par une énergie en provenance du plafond.
Une énergie lointaine et capable pourtant de traverser le roc jusqu’à les
toucher.

L’
Encyclopédie
contenait un
passage évoquant des ondes cosmiques aux crêtes si espacées qu’elles pouvaient
transpercer n’importe quelle matière, y compris les eaux et les sables.

Jason Bragel perçut en son corps des
énergies diverses, toutes représentées par des sons. Au départ, il y avait une
énergie de base, OU. Elle se ramifiait en deux sous-énergies : A et WA.
Elles-mêmes se décomposaient en quatre autres sons : WO, WE, E, O. Qui se
divisaient encore en huit puis en deux pour terminer sur les tonalités I et WI.
En tout, il en compta dix-sept, rassemblées en forme de pyramide au niveau de
son plexus solaire.

Ces sons formaient comme un prisme
qui, recevant la lumière blanche-sonorité OM, la décomposait en toutes ses
couleurs primitives.

Concentration. Expansion.

Ils respiraient les couleurs et les
sons.

Inspiration. Expiration.

Les communicants n’étaient plus que
seize prismes calmes, remplis de sons et de lumières.

Nicolas les observa, goguenard.

140. PUBLICITÉ

« Avec les beaux jours,
cancrelats, fourmis, moustiques, araignées prolifèrent dans nos maisons et nos
jardins. Pour vous en débarrasser, une seule solution : la poudre KRAK
KRAK.

Avec Krak Krak, soyez tranquilles
tout l’été ! Son agent déshydratant assèche les insectes jusqu’à ce qu’ils
se brisent comme du verre fin.

Krak Krak en poudre. Krak Krak en
spray. Krak Krak en encens.

Krak Krak, c’est la salubrité ! »

141. UN FLEUVE

Peu à peu la feuille de myosotis de
103
e
prend de la vitesse. Le bateau insecte avance tout droit,
fendant les vapeurs rasantes, soulevant même sa proue alors qu’une écume
blanche se forme devant lui. Autour de lui on distingue cent autres vaisseaux
remplis d’antennes et de mandibules. Deux mille croisées sur cent feuilles de
myosotis, cela forme une vaste flottille.

Le miroir lisse du fleuve se trouble
d’ondes.

Des moustiques réveillés par les
esquifs moxiluxiens s’envolent en maugréant dans leur patois moustique.

À l’avant du vaisseau, le termite
nasutiterme placé en proue indique à un autre termite le meilleur chemin. Ce
dernier transmet ensuite les commandes aux dytiques en émettant ses phéromones
dans l’eau.

Il faut éviter les trous d’eau, les
rochers affleurants et même les algues lenticulaires qui bloquent tout.

Leurs frêles esquifs glissent sur le
fleuve calme et laqué.

Le silence n’est qu’à peine fissuré
par les remous glauques des pattes de dytiques labourant l’ondée. Au-dessus
d’eux, un saule pleureur s’épanche de toutes ses longues feuilles.

103
e
trempe ses yeux et
ses antennes sous l’eau. Ça grouille de vie là-dedans. Elle repère toutes
sortes d’animaux aquatiques amusants : notamment des daphnies et des
cyclopes. Ces minuscules crustacées rouges s’agitent dans tous les sens. Tous
ceux qui approchent les dytiques sont aspirés par ces fauves.

9
e
, quant à elle,
remarque que ça grouille aussi de vie au-dessus… Un banc de têtards fonce vers
eux en bondissant au ras des flots.

Attention, des têtards !

Leur peau noire brille, ils foncent
à grande vitesse sur la flottille insecte.

Les têtards, les têtards !

L’information est transmise à tous
les bateaux termites. Les dytiques reçoivent l’ordre d’accélérer la cadence de
leurs brassées. Les fourmis n’ont rien à faire, on leur demande juste de bien
s’arrimer aux poils des feuilles.

Nasutitermes, à vos postes de
combat !

Les termites à tête en forme de
poire dardent leur corne vers le ras des flots.

Un têtard s’élance et mord la feuille
de myosotis du bateau de 24
e
. Celui-ci dévie de sa trajectoire. Il
est pris dans un remous et se met à tournoyer.

Un autre têtard fonce sur le bateau
de 103
e
.

9
e
le met en joue et lui
tire dessus à bout portant. Il est touché mais dans un dernier réflexe, cette
bête sombre et visqueuse saute un peu plus sur la feuille et commence à se
débattre, fouettant la surface de la feuille avec sa longue queue noire. Tout
le monde, fourmi et termite, est balayé et tombe à l’eau.

9
e
et 103
e
sont repêchées à temps par un autre bateau.

Plusieurs autres feuilles de
myosotis sont coulées par les têtards. Il y a près de mille noyés.

C’est alors qu’interviennent pour la
deuxième fois « Grande Corne » et ses scarabéides. Depuis le début de
la traversée, ils voletaient au-dessus de la flottille. Dès qu’ils voient les
têtards qui renversent les feuilles de myosotis et s’acharnent sur tous les
noyés, ils foncent en piqué, perforent de part en part les jeunes batraciens
mous et remontent avant d’être mouillés.

Quelques scarabées se noient dans
cette périlleuse acrobatie mais la plupart remontent, la corne truffée de
têtards palpitants qui fouettent l’air de leur longue queue noire et humide.

Cette fois les têtards rebroussent
chemin.

On sauve les naufragés. Il ne reste
plus que cinquante bateaux remplis à craquer par un bon millier de croisées. Le
navire de 24
e
(qui s’était égaré durant la bataille) rejoint à
grandes brassées l’ensemble de la flottille.

Enfin le cri phéromonal que tous
attendaient retentit.

Terre à l’horizon !

142. UN POINT VERT DANS LA NUIT

L’exaltation était à son comble.

— Prenez à droite. Lentement,
lentement. Encore à droite. Puis à gauche. Tout droit. Ralentissez. Toujours
tout droit, demanda le commissaire Méliès.

Laetitia Wells et Jacques Méliès
s’agitaient sur la banquette arrière, anxieux de connaître l’issue de leur
quête.

Le taxi obtempérait, résigné.

— Si on continue comme ça,
j’vais pas tarder à caler.

— On dirait qu’elles se
dirigent vers l’orée de la forêt de Fontainebleau, dit Laetitia en se tordant
les mains d’impatience.

Sous la lumière blanche de la pleine
lune, au bout de la rue, se dessinaient déjà des frondaisons.

— Ralentissez, mais ralentissez
donc ! Derrière, des automobilistes furieux klaxonnaient.

Rien de plus gênant pour la
circulation qu’une course-poursuite au ralenti ! Mieux vaut encore, pour
ceux qui n’y participent pas, qu’elle se déroule à tombeau ouvert !

— À gauche, encore !

Le chauffeur soupira,
philosophe :

— Vous ne seriez pas mieux à
pied ? D’ailleurs, à gauche, c’est en sens interdit.

— Peu importe, police !

— Ah bon ! Comme vous
voudrez !

Mais le passage était obstrué de
véhicules venant en sens inverse. La fourmi imprégnée de substance radioactive
était déjà à la limite de la zone de perception. La journaliste et le commissaire
sautèrent en marche de la voiture mais à cette vitesse, ce n’était pas vraiment
dangereux. Méliès lança un billet sans se soucier d’attendre la monnaie. Ses
clients s’étaient peut-être montrés un peu bizarres mais en tout cas, ils
n’étaient pas radins, pensa le chauffeur en faisant tant bien que mal marche
arrière.

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