Le Jour des Fourmis (38 page)

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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Elle se débattit.

Ce n’était pas possible. Il était 4
heures de l’après-midi. Quelqu’un allait bien finir par réagir, et donner
l’alerte !

Le barbu siffla en découvrant les
seins.

— Un petit peu petits, mais
jolis quand même, vous trouvez pas ?

— C’est le problème avec les
Asiatiques. Elles ont toutes un corps de fillette. Pas de quoi remplir la main
d’un honnête homme.

Laetitia Wells résistait à
l’évanouissement. Elle était en pleine crise d’humanophobie. Des mains d’hommes
– sales – la frôlaient, la touchaient, cherchaient à lui nuire. Sa peur était
si forte qu’elle ne parvenait même pas à vomir. Elle restait là, piégée,
prisonnière, incapable d’échapper à ses tourmenteurs. Elle entendit à peine le
« Stop, police ».

Le couteau interrompit son ouvrage.

Un homme, revolver braqué, exhibait
une carte barrée de tricolore.

— Merde, les keufs !
Barrons-nous, les gars. Toi, la salope, on t’aura une autre fois.

Ils prirent leur élan.

— Restez où vous êtes !
cria le policier.

— C’est ça, fit le chauve.
Tire-nous dessus et on te fera un procès.

Jacques Méliès abaissa son revolver
et ils déguerpirent.

Laetitia Wells reprit lentement le
contrôle de son souffle. C’était fini. Elle était sauvée.

— Ça va ? Ils ne vous ont
pas trop brutalisée ?

Elle secoua la tête en signe de
dénégation. Peu à peu, elle reprenait ses esprits. Lui, tout naturellement, la
prit dans ses bras pour la rassurer :

— Tout ira bien, à présent.

Et tout naturellement aussi, elle se
serra contre lui. Elle était soulagée. Elle n’aurait jamais pensé être un jour
aussi heureuse de voir surgir le commissaire Méliès.

Elle fixa sur lui ses yeux mauves où
l’océan s’était calmé. Plus aucune lueur de tigresse, que des vaguelettes
doucement agitées par la brise.

Jacques Méliès ramassa les boutons
de sa veste.

— Je dois vous remercier, je
suppose, dit-elle.

— Ce n’est pas la peine. Je
vous le répète, je souhaiterais simplement discuter avec vous.

— Et de quoi ?

— De ces affaires de chimistes
qui nous préoccupent tous les deux. J’ai été stupide. J’ai besoin de votre
aide. J’ai… toujours eu besoin de votre aide.

Elle hésita. Mais étant donné les
circonstances, comment ne pas l’inviter à prendre chez elle une autre chope
d’hydromel ?

116. ENCYCLOPÉDIE

CHOC ENTRE CIVILISATIONS : Le
pape Urbain Lis lança en 1096 la première croisade pour la libération de
Jérusalem. Y participèrent des pèlerins déterminés mais dénués de toute
expérience militaire. À leur tête : Gautier Sans Avoir et Pierre l’Ermite.
Les croisés avancèrent vers l’est sans même savoir quels pays ils traversaient.
Comme il ne leur restait plus rien à manger, ils pillèrent tout sur leur
passage et provoquèrent ainsi bien plus de dégâts en Occident qu’en Orient.
Affamés, ils se livrèrent même au cannibalisme. Ces « représentants de la
vraie foi » se transformèrent rapidement en une cohorte de vagabonds
loqueteux, sauvages et dangereux Le roi de Hongrie, pourtant chrétien lui
aussi, irrité par les dommages causés par ces va-nu-pieds, se décida à les
massacrer pour protéger ses paysans de leurs agressions. Les rares survivants qui
parvinrent à joindre la côte turque étaient précédés d’une telle réputation de
barbares, mi-hommes, mi-bêtes, qu’à Nicée, les autochtones les achevèrent sans
la moindre hésitation.

Edmond Wells,

Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.

117. À
BEL-O-KAN

Des moucherons messagers atterrissent
à Bel-o-kan. Tous sont porteurs des mêmes nouvelles. Les croisées ont vaincu un
Doigt grâce à du venin d’abeille. Puis elles ont attaqué la ruche d’Askoleïn et
l’ont vaincue. Rien ne résiste sur leur passage.

Dans toute la Cité, c’est la liesse.

La reine Chli-pou-ni est enchantée.
Elle a toujours su que les Doigts étaient vulnérables. Maintenant, la preuve en
est faite. En direction du cadavre de sa mère, elle émet, au comble de
l’excitation :

On peut les tuer, on peut les
vaincre. Ils ne nous sont pas supérieurs.

Quelques étages sous la Cité
interdite, les rebelles pro-Doigts se réunissent dans une salle secrète, plus
étroite encore que leur ancien repaire au-dessus de l’étable à pucerons.

Si nos légions ont pu vraiment tuer
un Doigt, c’est qu’ils ne sont pas des dieux, dit une non-déiste.

Ils sont nos dieux,
affirme une déiste avec force. Pour elle, les croisées ont cru s’en
prendre à un Doigt mais en fait, elles ont affronté quelque autre animal rond
et rose. Avec ferveur, elle répète :

Les Doigts sont nos dieux.

Cependant, et pour la première fois,
le doute s’insinue chez certaines rebelles parmi les plus déistes. Et elles
commettent l’erreur d’en parler directement au prophète mécanique le fameux
« Docteur Livingstone ».

118. DIVIN COURROUX

Dieu Nicolas fulmine.

Qu’est-ce que c’est que ces fourmis
qui se permettent de controverser ? Mécréantes, impies,
blasphématrices ! Il faut mater ces païennes !

Il sait que s’il ne s’affirme pas
comme un dieu terrible et vengeur, son règne ne durera pas longtemps. Il
s’empare du clavier de l’ordinateur qui traduit ses mots en phéromones :

Nous sommes des dieux.

Nous pouvons tout.

Notre monde est supérieur.

Nous sommes invincibles

Et nul ne peut mettre en doute
notre règne.

Face à nous, vous n’êtes que des
larves immatures.

Vous ne comprenez rien au monde.

Respectez-nous et
nourrissez-nous.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont des dieux.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont grands.

Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont puissants.

C’est la véri…

— Que fais-tu donc ici,
Nicolas ?

Vite, il éteignit la machine.

— Tu ne dors pas, Maman ?

— Le bruit des touches m’a
réveillée. Mon sommeil est devenu si léger que, parfois, je ne sais plus quand
je dors, quand je rêve et quand je vis en pleine réalité.

— Tu es dans un rêve, Maman.
Recouche-toi !

Il la raccompagna gentiment jusqu’au
lit.

Lucie Wells balbutia :
« Que faisais-tu avec l’ordinateur, Nicolas ? », mais le sommeil
la reprit avant qu’elle ait pu poser la question. Elle rêva à son fils,
utilisant la « Pierre de Rosette » pour mieux comprendre le
fonctionnement de la civilisation fourmi.

De son côté, Nicolas pensa qu’il
l’avait échappé belle. À l’avenir, il lui faudrait se tenir davantage sur ses
gardes.

119. LES OPINIONS PARTAGÉES

Une longue colonne sombre s’étire
entre les broussailles de sauge, de marjolaine, de serpolet et de trèfle bleu.
En tête de la première croisade anti-Doigts de l’histoire myrmécéenne, 103
e
guide la troupe puisqu’elle est la seule à connaître le chemin qui mène au bout
du monde puis au pays des Doigts.

Attendez-moi !
Attendez-moi !

À son réveil, 24
e
a
interrogé autour d’elle et ce sont finalement les mouches qui lui ont indiqué
comment retrouver la caravane.

Elle rejoint 103
e
à
l’avant.

Tu n’as pas perdu ton cocon, au
moins ?

24
e
s’indigne. Elle a
peut-être tendance à se montrer étourdie mais elle sait l’importance de sa
charge. La mission Mercure est au-dessus de tout. 103
e
la calme et
lui propose de demeurer en permanence à ses côtés. Ainsi, elle risquera encore
moins de se perdre. 24
e
approuve et lui emboîte le pas.

Derrière, 9
e
, accompagnée
des stridulations d’un groupe de grillons-taupes, entonne un chant guerrier
pour stimuler les troupes :

Mort aux Doigts, soldates, mort
aux Doigts !

Si tu ne les tues pas, ils
t’écraseront.

Ils incendieront ta fourmilière

Et massacreront les nourricières.

Les Doigts ne sont pas comme
nous.

Ils sont tout mous,

Ils n’ont pas d’yeux

Et ils sont vicieux.

Mort aux Doigts, soldates, mort
aux Doigts.

Demain, pas un n’en réchappera.

Pour l’heure, ce sont plutôt les
petits animaux alentour qui font les frais de la croisade. L’ensemble de la
procession consomme en moyenne quatre kilos de viande insecte par jour.

Sans parler des nids pillés par les
rousses.

Le plus souvent, quand les villages
sont avertis de l’approche de la croisade, ils préfèrent s’y joindre plutôt que
de subir ses rapines. Si bien que les croisées ne cessent de se multiplier.

Elles n’étaient que deux mille trois
cents quand elles ont quitté Askoleïn. Elles sont déjà deux mille six cents,
rassemblées en une masse composite où dominent les fourmis de toutes tailles et
de toutes couleurs. Même la flotte aérienne s’est reconstituée. Elle est forte
maintenant de trente-deux rhinocéros volants, auxquels se sont jointes les
trois cents guerrières de la légion abeille, plus une famille de soixante-dix
mouches qui vont et viennent en toute indiscipline. La croisade comprend donc
de nouveau près de trois mille individus.

À midi, elle fait étape car la chaleur
devient insoutenable.

Tout le monde s’abrite dans les
racines ombragées d’un grand chêne pour une sieste improvisée. 103
e
en
profite pour effectuer un vol d’essai. Elle demande à une abeille de la
transporter sur son dos.

L’expérience ne dure guère. L’abeille
s’avère une mauvaise monture car elle produit trop de vibrations. Impossible
dans ces conditions d’ajuster un tir d’acide. Tant pis. L’escadrille abeille
volera sans cornacs.

Dans un recoin, 23
e
tient
un nouveau meeting de propagande. Cette fois, elle a réussi à rassembler
beaucoup plus d’auditeurs que lors de la réunion précédente.

Les Doigts sont nos dieux !

L’assistance reprend en chœur le
slogan déiste. Les fourmis s’enthousiasment à émettre ensemble, en même temps,
une même phéromone.

Mais alors, cette croisade ?

Ce n’est pas une croisade mais
une rencontre avec nos maîtres.

Plus loin, 9
e
mène une
campagne d’un genre tout différent.

Elle conte aux centaines de soldates
réunies autour d’elle des récits horribles sur ces Doigts, capables de kidnapper
une cité entière en quelques secondes. Toutes frémissent en l’écoutant.

Plus loin encore, 103
e
,
elle, n’émet pas. Elle réceptionne. Plus exactement, elle rassemble tout ce que
lui ont conté les espèces étrangères sur les Doigts afin de compléter sa phéromone
zoologique.

Une mouche rapporte avoir été
poursuivie par dix Doigts qui tentaient de l’aplatir.

Une abeille rapporte s’être trouvée
prisonnière d’un gobelet transparent tandis qu’au-dehors, des Doigts la
narguaient.

Un hanneton assure avoir percuté un
animal rose et mou. C’était peut-être un Doigt.

Un grillon prétend avoir été enfermé
dans une cage, nourri de salade puis relâché. Ses geôliers étaient sûrement des
Doigts puisque c’étaient des boules roses qui lui apportaient la nourriture.

Des fourmis rouges affirment avoir
dardé de leur venin une masse rosacée qui s’est aussitôt enfuie.

103
e
note avec
application tous les détails de ces témoignages dans sa phéromone zoologique
sur les Doigts.

Puis la température redevient
supportable et les fourmis reprennent la route.

La croisade avance, toujours avance.

120. PLAN DE BATAILLE

Laetitia avait hâte de laver son
corps des impuretés du métro. Elle proposa à Méliès de regarder la télévision
dans le salon, le temps qu’elle prenne son bain.

Il s’assit confortablement sur un
canapé et alluma le poste tandis que, dans l’eau, Laetitia redevenait poisson.

Concertation en apnée. Elle se dit
que si elle avait de bonnes raisons de détester Méliès, elle en avait tout
autant de lui être reconnaissante d’être intervenu au bon moment. Compteur à
zéro.

Dans le salon, Méliès suivait son
émission favorite, avec un sourire d’enfant heureux devant son jouet préféré.

— Alors, madame Ramirez,
avez-vous trouvé ?

— Euh… Quatre triangles avec
six allumettes, je vois très bien, mais six triangles avec six allumettes, je
ne vois pas du tout.

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