Un avion sans elle (Terres de France) (French Edition) (51 page)

BOOK: Un avion sans elle (Terres de France) (French Edition)
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Marc se prit la tête entre les mains, se redressa un peu, observa les murs blancs de la pièce.

Ce fut alors, alors seulement, que ses yeux se posèrent sur les autres informations de la une du journal. Presque rien. La victoire 3-1 du FC Sochaux contre Angers ; une manifestation des ouvriers de la lunetterie, près de Morez, dans le Haut-Jura ; le détail de la tournée du père Noël dans les communes de la région…

Et tout en bas de la page, presque un entrefilet. Neuf mots seulement. Un avis de recherche.

Mélanie Belvoir. 18 ans. Disparue depuis maintenant trois semaines.

A l’avis de recherche était associée une petite photographie d’identité, en couleurs. Trois centimètres sur deux.

 

Marc manqua défaillir. C’était impossible. Il ne pouvait s’agir que d’un faux. Un trucage.

Le visage de cette fille de dix-huit ans, Mélanie Belvoir, était celui de Lylie.

Pas la photographie d’une fille qui lui ressemblerait. Non. C’était elle. Le même regard bleu azur, la même forme des pommettes, le même sourire, la même fossette au milieu du menton. Seule la coiffure différait légèrement, les cheveux de Lylie étaient un peu plus courts.

La photographie publiée dans ce vieux journal était le fac-similé exact de la photographie actuelle de Lylie, de celle agrafée sur sa carte d’étudiante, de celle collée sur sa carte orange de la RATP, de celle que Marc conservait précieusement dans son portefeuille.

C’était insensé !

Sur la même page de ce journal du drame, daté du 23 décembre 1980, une photographie représentait Lylie âgée de trois mois, portée par un pompier devant le centre hospitalier, et Lylie âgée de dix-huit ans, belle, souriante, telle qu’il l’avait quittée deux jours plus tôt, le 2 octobre 1998…

Devenait-il fou ?

Vivait-il un rêve dont il allait se réveiller, en sueur, aux côtés de Lylie ?

Ou pire ?

Aux côtés de Malvina, dans la cabane du mont Terrible ?

59

4 octobre 1998, 07 h 12

Les rayons du soleil se faufilaient par les ouvertures du toit de la cabane, tels les rayons laser de la chambre forte d’une banque dans un film policier. L’un d’eux finit par atteindre le visage de Malvina. Elle savoura d’abord l’agréable chaleur sur sa joue, avant de se tourner dans son duvet, plusieurs fois, puis d’ouvrir les yeux.

Machinalement, sa main rechercha le duvet voisin, celui de Marc.

Elle se referma sur de la terre sèche.

Personne.

Plus de duvet. Plus de corps chaud. Rien.

Juste un mot, une feuille de papier :

 

Suis parti chercher les croissants.
Marc

 

Connard ! Il se croyait drôle, en plus.

A côté, le topoguide. Le message était clair. « Démerde-toi ! »

Malvina grommela contre elle-même et se leva d’un bond. Quelle gourde ! Elle aurait dû s’en douter, ne pas faire confiance à un Vitral. Elle avait l’air maligne maintenant, seule, au sommet du mont Terrible, avec un téléphone portable qui ne captait aucun réseau. Elle s’était laissé piéger comme une gamine, elle n’avait plus qu’une solution, maintenant. Redescendre.

 

Malvina laissa tout en plan dans la cabane, duvet, lampe, restes du repas frugal de la veille, et se mit en route. Pas une fois lors de la descente elle ne jeta un regard au soleil rasant du matin qui donnait aux montagnes suisses des allures d’Himalaya.

Une bonne heure plus tard, la Maison du Parc naturel était en vue. Quelques enfants s’amusaient déjà autour du petit parc de jeux en bois pendant que leurs parents, quelques mètres derrière eux, passaient un temps interminable à lacer leurs chaussures de randonnée. Aucun camion Citroën sur le parking. Bien entendu ! Ce salopard de Vitral l’avait vraiment abandonnée.

Machinalement, elle consulta son téléphone portable. Enfin, elle captait du réseau ! Elle allait pouvoir sortir de ce trou. Une petite enveloppe jaune affichée sur l’écran attira son attention : un message sur son répondeur. Quelqu’un avait essayé de la joindre, entre la veille au soir et ce matin. Sa grand-mère Mathilde, sûrement. Qui d’autre ? Malvina manipula son téléphone et réprima un mouvement de surprise. Le message provenait d’un numéro inconnu.

Marc Vitral ? Crédule Grand-Duc ?

Malvina monta l’appareil jusqu’à son oreille.

« Malvina. C’est Rachel. Rachel de Carville, ta grand-tante… »

Rachel ? Sa grand-tante, l’héritière des parfumeries Elytis à La Baule. Qu’est-ce qu’elle lui voulait ? Elle n’avait pas dû lui parler depuis dix ans.

« Malvina, ma pauvre petite fille. Il faut vite que tu m’appelles. Il s’est passé quelque chose de terrible à Coupvray, à la Roseraie. Mon Dieu, ma chérie. Ta grand-mère et ton grand-père ne se sont pas réveillés. On les a retrouvés tous les deux, chacun dans leur lit, ils ne respiraient plus. Ils sont montés au ciel ensemble, mon pauvre ange. »

 

Malvina éteignit le téléphone. Son bras tomba comme si l’appareil pesait subitement une tonne. Elle fixa la forêt sombre, se laissa envahir par ce silence des montagnes qu’elle ne connaissait pas. Longtemps. Puis sa main glissa vers son sac à main. Elle ne devait plus réfléchir, ne pas pleurer, ne pas prier. Elle devait agir. Comprendre. Se venger. Elle devait se concentrer sur un seul objet, bien réel, bien vivant, lui.

Dans son sac, ses doigts serrèrent la crosse du Mauser L110. Vitral se croyait le plus malin, mais il n’aurait pas dû s’endormir, cette nuit : quand elle le voulait, elle savait très bien jouer les folles et simuler les cauchemars. Elle n’avait fait que récupérer son arme. De toute façon, ce faux cul de Marc Vitral aurait été bien incapable de se servir d’un revolver.

Pas elle.

60

4 octobre 1998, 07 h 19

— Allô, Jennifer ?

Marc n’avait pas quitté la salle des archives de
L’Est républicain
. Sa collègue des renseignements de France Telecom était de garde tout le week-end. C’était son seul atout, il ne devait pas le gâcher.

— Jennifer. C’est encore Marc. J’ai besoin que tu me rendes un service, un immense service…

— Tout ce que tu veux. Tu le sais bien.

— J’ai besoin d’un téléphone et d’une adresse. Mélanie Belvoir. B-E-L-V-O-I-R…

— Où ça ?

— Cherche d’abord dans les départements du Jura et du Doubs. Puis partout en Franche-Comté. Puis en France…

— Ça roule…

Marc entendait le son ouaté des doigts de Jennifer qui s’activaient sur un clavier. Il n’arrivait pas à détacher son regard de la photographie sur la page de
L’Est républicain
de 1980. Cette ressemblance surréaliste. Qui pouvait être cette Mélanie Belvoir ? Il existait forcément une explication rationnelle…

— Désolée, Marc, fit la voix de Jennifer.
Nada
sur toute la ligne. Aucune Mélanie Belvoir, ni dans le Jura ni ailleurs en France.

— Elle est peut-être sur liste rouge ?

— J’ai vérifié aussi !
Nada
.

— Merde. Tu as d’autres Belvoir, en France ?

— Attends…

Nouveau bruit de doigts-mitraillette dans l’écouteur.

— Ouais, trois cent quarante-huit…

— Et dans le Jura ?

— Je te dis ça… Ah, ça diminue. Vingt-trois seulement, mais pas de Mélanie.

— Merde ! Elle a peut-être changé de nom…

— C’est qui, cette Mélanie ?

— Ça serait super trop long à t’expliquer. Une histoire de fous, mais je n’ai plus que quelques minutes pour inventer la fin. Jennifer, tu peux essayer de vérifier sur les demandes de résiliation, toujours au nom de Mélanie Belvoir ?

— Tu fais ça comment ?

— Tu vas dans les archives. On y a accès si l’on se met sur le compte administrateur. Tu peux faire des recherches sur les demandes de résiliation de ligne depuis qu’on est informatisés, quinze ans au moins…

— C’est interdit, Marc, se mettre sur le compte administrateur. C’est un truc à se faire virer…

— Tu parles. Je l’ai fait dix fois ! S’il te plaît, Jennifer, c’est urgent…

— Je te préviens, mon garçon, ça va te coûter un restaurant en tête à tête. Etoile au Michelin et tout le tintouin.

— OK, OK, tout ce que tu veux, fonce.

Marc entendit à nouveau les touches de l’ordinateur crépiter.

— Jennifer, je suis fiancé, tu vois… Plutôt que le restaurant, tu… tu ne préférerais pas devenir la marraine d’un petit bébé que tu aurais contribué à sauver…

La réponse cingla :

— Et puis quoi encore ? Rien à foutre, de ton chiard ! Minimum deux étoiles, le restau. Je le mérite bien. Je l’ai trouvée, ta fille. Elle a résilié son abonnement il y a cinq ans, le 23 janvier 1993. A l’époque, elle habitait au 65 rue du Comte-de-la-Suze, à Belfort. Et depuis, pschitt, disparue dans la nature.

— Jennifer, vérifie les demandes de transfert d’appels !

— Quoi ?

— Les transferts d’appel ! Le plus souvent, quand les clients résilient un abonnement, c’est parce qu’ils déménagent ou qu’ils vont habiter chez quelqu’un d’autre, alors ils demandent que l’on transfère leur ancien numéro sur le nouveau, pendant quelques mois. Ça aussi, c’est archivé et accessible sous le compte administrateur…

— T’es dingue ! Trois étoiles, le restau. Et champagne à volonté.

— OK, OK, avec des violonistes hongrois et même des Chippendales si tu veux !

— Un peu, que je veux !

Marc resta à l’écoute. Les secondes lui parurent interminables.

— T’avais raison, fit enfin la voix de Jennifer. Mélanie Belvoir a demandé un transfert d’appel chez Laurent Luisans. Je suppose que tu veux l’adresse… Dannemarie, dans le Doubs. Au 456, route de Villars. Tu es courant que c’est strictement confidentiel, ce que je fais. Tu lui veux quoi, à cette Mélanie ? C’est une ex ? Ça a un rapport avec la liste d’hôpitaux que je t’ai fournie avant-hier ?

Marc nota l’adresse fiévreusement, sur le premier papier qui lui tomba sur la main, la une de
L’Est républicain
.

— T’es la meilleure, Gégé. Tu l’auras, ton restau. Et peut-être bien aussi les dragées. Je peux te demander un dernier service ? Tu es sur Internet, là ?

Jennifer soupira :

— Ouais.

— Tu te connectes sur Mappy et tu m’indiques l’itinéraire le plus court pour trouver le 456, route de Villars.

— Putain… Je dois vraiment être trop conne… Tu sais où tu peux te les coller, tes dragées ?

 

Le camion Citroën rouge et orange gravissait lentement la départementale 34. Après Montbéliard, la route montait directement vers la frontière suisse, dix kilomètres plus loin. Le pied de Marc restait collé au plancher, mais ça ne semblait pas motiver son véhicule. L’urbanisation continue de l’agglomération se mitait au fur et à mesure que l’altitude croissait. La départementale serpenta un moment au pied d’un torrent, pour s’élever encore. Les villages devenaient rares, seuls quelques chalets épars attestaient encore d’une occupation humaine au pied des sommets.

Le bourg de Dannemarie se dévoila au détour d’un lacet. Le chalet de Mélanie Belvoir-Luisans, selon les indications de Jennifer, se situait juste à la sortie, encore plus haut, vers la Suisse, sous la ligne de crête. Le Citroën s’engagea dans le village désert. Il était tout juste huit heures du matin. Il n’y avait pas même une boulangerie ou un café ouvert.

Un dernier tournant, il sortait déjà du village.

Marc pila. Il enclencha la marche arrière et au prix d’un créneau compliqué se gara le long du trottoir.

Il n’allait pas une fois de plus se jeter dans la gueule du loup ! Crédule Grand-Duc devait sans aucun doute lui aussi pister cette Mélanie Belvoir. Depuis toutes ces années de visite à Dieppe, le détective avait appris à connaître le camion orange et rouge. Difficile de le rater ! Rouler jusqu’au domicile de cette Mélanie en Citroën équivalait à débarquer chez elle en sonnant du clairon.

 

Il faisait frais. Marc avançait d’un bon pas, en prenant soin de progresser sur le talus, en dehors de la route. Il aperçut la Xantia après le troisième lacet. La voiture était dissimulée dans un chemin, sur le côté de la route. Juste au-dessus, il repéra un chalet isolé ; celui de Mélanie Belvoir, sans aucun doute. Marc se hissa encore sur le talus, dans l’herbe mouillée de rosée. Il avança. Même dans le rétroviseur de la Xantia, on ne pouvait pas le repérer.

Crédule Grand-Duc attendait, calmement, une tasse blanche à la main, ne se doutant de rien. Marc continua de progresser à couvert. Il savait qu’en cas de besoin il pourrait toujours se servir du Mauser emprunté à Malvina, mais son plan, si l’on pouvait parler de plan, était tout autre. Plus direct ! Crédule Grand-Duc approchait les soixante-cinq ans, Marc en avait vingt et disposait d’une condition physique de rugbyman. Ils allaient s’expliquer entre hommes.

Crédule Grand-Duc n’eut pas le temps de réagir. La portière de la Xantia s’ouvrit brusquement. Une ombre surgie de nulle part lui attrapa le bras, puis l’épaule. Il se retrouva projeté sur le chemin de terre, face contre sol. Il n’avait toujours pas pu distinguer son agresseur lorsqu’un violent coup de pied lui déchira les côtes. Il se tordit de douleur. Un deuxième coup de pied le toucha au coccyx.

Le détective hurla.

— Put…

Son cri inachevé se perdit dans l’immensité du silence de la montagne. Un troisième coup de pied, dans le bas du dos, l’obligea à se retourner. L’ombre le dominait, debout, devant son corps ratatiné.

Marc Vitral.

Comment avait-il pu comprendre ? Le trouver ? Aussi rapidement ?

— Marc ? articula Grand-Duc. Com… comment as-tu…

Le détective cracha du sang dans la poussière et essaya de se relever. Le pied de Marc se posa sur sa poitrine.

— Bouge pas… Ne bouge pas ou je t’écrase comme un cafard…

— Marc, qu’est-ce qui…

— Ta gueule. Recommence pas ton baratin. Deux jours que je me les coltine, tes formules à la con. Ta vie, ton enquête et tes états d’âme de faux cul…

Marc pesa encore un peu plus avec son pied sur la poitrine de Grand-Duc. Le détective grimaça, peinant à respirer. Marc parla, lentement :

— On va pas jouer au chat et à la souris, tous les deux. On va aller droit au but. Droit au but, tu te souviens, comme les matchs de foot que je regardais sur tes genoux, à Dieppe. Sur les genoux de l’assassin de mon grand-père. De ma grand-mère aussi, si t’avais pu.

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