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Authors: Bernard Werber

Tags: #Fantastique

Le Jour des Fourmis (30 page)

BOOK: Le Jour des Fourmis
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Les Doigts peuvent tout car les
Doigts sont puissants.

C’est la vérité.

Les Doigts éteignent la machine et se
sentent fiers d’être dieux. Nicolas va se recoucher discrètement. Les yeux
ouverts, il sourit en rêvassant. S’il arrive un jour à sortir vivant de ce
trou, il en aura à raconter. À ses copains d’école, au monde entier ! Il
expliquera la nécessité des religions. Et il deviendra célèbre en prouvant
qu’il est parvenu à implanter la foi religieuse chez des insectes !

88. PREMIÈRES ESCARMOUCHES

Rien que dans les territoires sous
contrôle belokanien, le nombre des victimes et l’étendue des dégâts occasionnés
par le passage de la première croisade sont considérables.

C’est que les soldates rousses n’ont
peur de rien.

Une taupe qui avait la prétention de
piocher dans cette masse de fourmis n’a que le temps d’avaler de travers
quatorze victimes. Déjà, les fourmis l’envahissent et la dépècent. Une chape de
silence s’abat sur le long cortège. Devant lui, tout disparaît. Si bien qu’à
l’euphorie chasseresse des débuts succèdent la pénurie et, sans tarder, une
âpre famine.

Dans le sillage de désolation que
laisse derrière elle la croisade, on trouve aussi à présent des fourmis mortes
de faim.

Devant cette situation
catastrophique, 9
e
et 103
e
se concertent. Elles proposent
que les éclaireuses se déploient en groupes de vingt-cinq unités. Un tel
éventail de tête devrait logiquement être plus discret et donc moins effrayant
pour les habitants de la forêt.

À celles qui commencent à murmurer et
parlent de retraite, il est vertement répondu que la faim doit au contraire les
pousser à hâter le pas, droit devant. Vers l’orient. Leur prochain gibier sera
du Doigt.

89. LA COUPABLE EST ENFIN ARRÊTÉE

Allongée dans son bain et s’y livrant
à son exercice favori, la plongée en apnée, Laetitia Wells laissait vaguer ses
pensées. Elle s’avisa qu’elle n’avait pas eu d’amants depuis des jours, elle
qui en avait eu beaucoup et s’en était toujours lassée très vite. Elle
envisagea même de mettre Jacques Méliès dans son lit. Il l’agaçait parfois un
peu mais il présentait l’avantage d’être là, à portée de main, à un moment où
elle ressentait le besoin d’un mâle.

Ah ! il y avait tant d’hommes
de par le monde… Mais aucun de l’étoffe de son père. Ling-mi, sa mère, avait eu
de la chance de partager sa vie. Un homme ouvert à tout, inattendu et drôle,
adorant faire des blagues. Et aimant, si aimant !

Personne ne pouvait faire le tour
d’Edmond. Son esprit était un espace sans limites. Edmond fonctionnait comme un
sismographe, il enregistrait toutes les secousses intellectuelles de son
époque, toutes les idées-forces, il les assimilait, les synthétisait… et les
régurgitait devenues autres, ses propres idées. Les fourmis n’avaient été qu’un
prétexte. Il aurait pu aussi bien étudier les étoiles, la médecine ou la
résistance des métaux, il aurait excellé tout autant. Il avait été un esprit
véritablement universel, un aventurier d’un type particulier, aussi modeste que
génial.

Peut-être existait-il quelque part
un autre homme à la psychologie assez mobile pour sans cesse l’étonner et ne
jamais la lasser ? Pour l’instant, elle n’en avait jamais rencontré de
cette sorte…

Elle s’imagina passant une petite
annonce : « Cherche aventurier…» D’avance, les réponses la
rebutaient.

Elle sortit la tête de l’eau,
inspira fortement et l’y replongea. Le cours de ses pensées avait changé. Sa
mère, le cancer…

Manquant subitement d’air, elle
émergea à nouveau. Son cœur battait fort. Elle sortit de la baignoire et passa
son peignoir.

On sonnait à sa porte.

Elle prit le temps de se calmer un
peu, trois expirations longues, et alla ouvrir.

C’était encore Méliès. Elle
commençait à avoir l’habitude de ses incursions mais là, elle hésita à le
reconnaître. Il portait des vêtements d’apiculteur, son visage était masqué par
un chapeau de paille voilé de mousseline, et il était ganté de caoutchouc. Elle
fronça le sourcil en apercevant, derrière le commissaire, trois hommes affublés
de la même tenue. Dans l’une de ces silhouettes, elle reconnut l’inspecteur
Cahuzacq. Elle retint un rire.

— Commissaire ! Que
signifie cette visite costumée ?

Il n’y eut pas de réponse. Méliès
s’effaça sur le côté, les deux masques non identifiés – deux flics, sûrement –
s’avancèrent et le plus costaud lui boucla une menotte au poignet droit.
Laetitia Wells croyait rêver. Le bouquet, ce fut lorsque Cahuzacq, la voix
déformée et assourdie par le masque, récita : « Vous êtes en état
d’arrestation pour meurtres et tentative de meurtre. À partir de maintenant,
tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Bien entendu, vous avez
le droit de refuser de parler hors de la présence de votre avocat. »

Puis les policiers, entraînant
Laetitia, allèrent se planter devant la porte noire. Méliès fit une rapide et
brillante démonstration de ses talents de cambrioleur : l’huis n’y résista
pas.

— Vous auriez pu me demander la
clef au lieu de tout démolir ! protesta l’interpellée.

Les quatre flics tombèrent en arrêt
devant l’aquarium aux fourmis et tout un arsenal informatique.

— Qu’est-ce que c’est que
ça ?

— Probablement les assassins
des frères Salta, de Caroline Nogard, de MacHarious et des époux Odergin, dit
sombrement Méliès.

Elle cria :

— Vous vous trompez ! Je
ne suis pas le joueur de flûtiau de Hamelin. Vous ne voyez pas ? C’est un
simple nid de fourmis que j’ai ramené la semaine dernière de la forêt de
Fontainebleau ! Mes fourmis ne sont pas des tueuses. Elles ne sont
d’ailleurs jamais sorties d’ici depuis que je les y ai installées. Aucune
fourmi ne pourra jamais obéir à personne. On ne peut pas les apprivoiser. Ce ne
sont pas des chiens ou des chats. Elles sont libres. Vous m’entendez,
Méliès ? Elles sont libres, elles n’en font qu’à leur tête et personne ne
pourra les manipuler ou les influencer. Mon père avait déjà compris cela. Elles
sont libres. Et c’est pour cela qu’on veut toujours les détruire. Il n’y a que
des fourmis sauvages et libres ! Je ne suis pas votre assassin !

Le commissaire ignora ses
protestations et se tourna vers Cahuzacq :

— Tu m’embarques tout ça,
l’ordinateur et les fourmis. On va bien voir si la taille de leurs mandibules
correspond aux lésions internes des cadavres. Tu feras poser les scellés et tu
conduis Mademoiselle direct chez le juge d’instruction.

Laetitia se fit véhémente :

— Je ne suis pas votre
coupable, Méliès ! Vous vous trompez encore ! Décidément, c’est une
spécialité chez vous.

Il refusa de l’écouter.

— Les gars, dit-il encore à ses
subordonnés, faites gaffe à ne pas laisser s’échapper une seule de ces fourmis.
Ce sont toutes des pièces à conviction.

Jacques Méliès était en proie au
plus vif des bonheurs. Il avait résolu l’énigme la plus compliquée de sa
génération. Il avait frôlé le Graal du crime parfait. Il avait vaincu là où
personne d’autre n’aurait pu réussir. Et il tenait le mobile de
l’assassin : elle était la fille du plus célèbre cinglé pro-fourmis de la
planète, Edmond Wells.

Il partit sans avoir croisé une
seule fois le regard mauve de Laetitia.

— Je suis innocente. Vous
commettez la plus grande bourde de votre carrière. Je suis innocente.

90. ENCYCLOPÉDIE

CHOC ENTRE CIVILISATIONS : En
53 avant Jésus-Christ, le général Marcus Licinius Crassus, proconsul de Syrie,
jaloux des succès de Jules César en Gaule, se lance à son tour dans les grandes
conquêtes. César a étendu son emprise sur l’Occident jusqu’à la
Grande-Bretagne, Crassus veut envahir l’Orient jusqu’à atteindre la mer. Cap
sur l’est. Seulement, l’empire des Parthes se trouve sur son chemin. À la tête
d’une gigantesque armée, il affronte l’obstacle. C’est la bataille de Carres,
mais c’est Suréna, le roi des Parthes, qui l’emporte. Du coup, c’en est fini de
la conquête de l’Est.

Cette tentative eut des conséquences
inattendues. Les Parthes firent de nombreux prisonniers romains, qui servirent
dans leur armée en lutte contre le royaume kusana. Les Parthes furent à leur
tour défaits, et leurs Romains se retrouvent incorporés dans l’armée kusana, en
guerre, elle, contre l’empire de Chine. Les Chinois l’emportent, si bien que
les prisonniers voyageurs unissent dans les troupes de l’empereur de Chine. Là,
si l’on est surpris par ces hommes blancs, on est surtout admiratif devant leur
science en matière de construction de catapultes et autres armes de siège. On
les adopte, au point de les émanciper et de leur donner une ville en apanage.

Les exilés épousèrent des
Chinoises et leur firent des enfants. Des années plus tard, lorsque des
négociants romains leur proposèrent de les ramener au pays, ils déclinèrent
l’offre, se déclarant plus heureux en Chine.

Edmond Wells,

Encyclopédie
du savoir relatif et absolu, tome II.

91. PIQUE-NIQUE

Pour échapper à la canicule du mois
d’août, le préfet Charles Dupeyron avait décidé d’emmener sa petite famille
pique-niquer sous les frondaisons agrestes de la forêt de Fontainebleau.
Georges et Virginie, les enfants, s’étaient munis pour l’occasion de chaussures
tout-terrain. Cécile, l’épouse, s’était chargée de préparer le repas froid que
Charles transportait pour l’heure dans une énorme glacière, sous le regard
narquois des autres.

À onze heures du matin, ce
dimanche-là, il faisait déjà une chaleur épouvantable. Ils s’enfoncèrent sous
les arbres, vers l’ouest. Les enfants fredonnaient une comptine apprise à
l’école maternelle : « Be-bop-a-lula, she is my baby. » Cécile
s’efforçait de ne pas se tordre les chevilles dans les ornières.

Pour sa part, s’il suait tant et
plus, Dupeyron n’était pas fâché de cette école buissonnière, loin des gardes du
corps, secrétaires, attachées de presse et autres courtisans de tout poil. Les
retours à la nature avaient leurs charmes.

Parvenu à un ruisseau plus qu’à
moitié asséché, il huma avec plaisir un air empli de senteurs fleuries et
suggéra de s’installer dans l’herbe, à proximité. Cécile protesta
aussitôt :

— Tu te crois drôle ! Ça
doit être bourré de moustiques par ici ! Comme si tu ne savais pas que dès
qu’il y a un moustique, c’est moi qu’il pique !

— Ils adorent le sang de maman
parce qu’il est plus sucré, ricana Virginie, en brandissant le filet à
papillons qu’elle avait emporté dans l’espoir d’enrichir la collection de sa
classe.

L’an dernier, avec les ailes de huit
cents lépidoptères, ils avaient composé un grand tableau représentant un avion
dans les cieux. Cette fois, ils entendaient carrément représenter la bataille
d’Austerlitz.

Dupeyron se voulut conciliant. Il
n’allait pas gâcher cette belle journée pour une histoire de moustiques.

— Très bien, allons plus loin.
Il me semble distinguer une clairière, là-bas.

La clairière était un carré de
trèfle grand comme une cuisine et, de ce fait, généreusement ombragée. Dupeyron
se débarrassa de sa glacière, l’ouvrit et en tira une belle nappe blanche.

— Nous serons parfaitement bien
ici. Les enfants, aidez votre mère à installer le couvert.

Lui se mit en devoir de déboucher
une bouteille d’un excellent bordeaux, s’attirant aussitôt une pique de son
épouse :

— Il n’y a rien de plus pressé
peut-être ? Les enfants se chamaillent déjà et toi, tu ne penses qu’à boire !
Fais donc un peu ton métier de père !

Georges et Virginie se bagarraient à
coups de motte de terre. En soupirant, il les rappela à l’ordre :

— Oh, cela suffit, les
enfants ! Georges, tu es le garçon, montre l’exemple.

Le préfet attrapa son fils par le pantalon
et le menaça de la main.

— Tu la vois celle-là ? Si
tu continues d’embêter ta sœur, tu t’en prends une en aller-retour.
Tiens-le-toi pour dit.

— Mais papa, c’est pas moi,
c’est elle.

— Je ne veux pas savoir qui
c’est, à la moindre incartade c’est toi qui prends.

Le petit commando de vingt-cinq
éclaireuses évolue loin en avant du gros des troupes, furetant en tous sens.
Tentacules de l’armée, elles disposent des phéromones pistes qui permettront à
la masse des croisées d’emprunter le meilleur chemin.

Le groupe le plus avancé est dirigé
par 103
e
.

Les Dupeyron mâchaient lentement
sous la touffeur des arbres. L’effort était tel que même les enfants se
tenaient tranquilles à présent. Les yeux levés, M
me
Dupeyron rompit
le silence :

— Je crois qu’il y a des
moustiques par ici aussi. En tout cas, il y a des insectes. J’entends des
bourdonnements.

— Tu as déjà vu une forêt sans
insectes ?

— Je me demande si ton
pique-nique était une si bonne idée que cela, soupira-t-elle. Nous aurions été
beaucoup mieux sur la côte normande. Tu sais bien que Georges a des
allergies !

— Je t’en prie, arrête de
couver ce petit. Tu finiras par le rendre fragile pour de bon !

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